cinéma

The soul of a man  de Wim Wenders 1/2

 

 
 

    Le premier d’une série de 7 films consacrés au blues à l’instigation de Martin Scorsese, The Soul of a Man permet à Wim Wenders de remettre le couvert après un coup de force sans précédent. Impossible en effet de ne pas penser à Buena Vista Social Club au moment d’aborder ce nouveau documentaire du cinéaste-mélomane allemand. Cette fois pourtant, le succès ne semble pas au rendez-vous : à croire que le blues est réellement une musique maudite, et que des musiciens noirs morts et enterrés depuis un bon moment attirent moins le bobo qu’une poignée de papys latinos sur le (grand) retour…

 

    Dommage car s’il est objectivement moins réussi que son illustre prédécesseur (qui pouvait grâce à ses protagonistes beaucoup plus jouer sur un registre purement émotionnel), The Soul of a Man laisse augurer d’une série véritablement intéressante.

 

    Très vite, Wenders opère un choix audacieux qui s’avère payant : pour pallier à l’absence de documents d’archives concernant 2 des musiciens auxquels il s’intéresse (Blind Willie Johnson et Skip James, le troisième étant J.B. Lenoir), il prend le parti, risqué, de tourner des scènes de fiction recréant des épisodes de leur vie. On reconnaîtra ainsi Chris Thomas King dans un autre rôle de « Johnson » puisque avant de prêter son visage à Blind Willie, il avait été le « pastiche » de Robert sous la caméra des frères Coen dans O’Brother.

 

    En accord avec le minimalisme de la musique qu’il illustre, Wenders ne donne pas dans la reconstitution minutieuse et chiadée, préférant laisser parler les notes. Car en toute logique, c’est le blues acoustique des 3 géants précités qui est la grande vedette du film : les mots à la fois prosaïques et abstraits, incroyablement puissants d’un Skip James illustrent à eux seuls l’essence de cette musique du diable et des déshérités. Une musique intemporelle qui permet au réalisateur d’effectuer les raccourcis les plus éloquents : l’enchaînement abrupt du mythique Devil Got My Woman version Skip James et de sa reprise tellurique par le Jon Spencer Blues Explosion, exprime bien sûr l’incroyable modernité du morceau, mais également son inégalable puissance, puisqu’ils ne sont pas trop de 3 sublimes dandys électriques pour égaler l’intensité de la version originale.

 

    L’autre grande force de Soul of a Man, c’est la présence de ces documents d’archive qui se suffisent à eux-mêmes. Ou même l’absence de documents d’archive : le blues rural est porteur d’une telle mythologie que l’histoire de Skip James se passe de toute reconstitution. La quête de l’image ultime devient ainsi  un des sous-textes du film : après la découverte providentielle des films amateurs consacrés à J.B. Lenoir par un couple américano-suédois, c’est le coup de théâtre de la redécouverte cette fois, de Skip James (après une absence de près de 30 ans), à travers ces photos prises durant le Newport Folk Festival en 64. Wenders réussit à construire un véritable suspens autour de ces documents : ainsi, lorsqu’on découvre non plus des photos, mais des reportages filmés de ce même festival, on se retrouve à la place même des petits blancs-becs hallucinés de découvrir sous leurs yeux une légende de la musique populaire.

 

    Wenders parvient en peu de temps à résumer de nombreux enjeux inhérents au blues : musique profane aux aspirations sacrées, exploitation à des degrés divers par le public blanc, patrimoine honteusement sous-évalué et en voie de disparition etc. On attend désormais avec impatience et intérêt les points de vue et interprétations de Scorsese ou Eastwood.

 

Laurent