C’est
bien connu : la vengeance est un plat qui se
mange froid. Pour Mélanie, compte tenu de l’écart
de temps entre l’acte motivant le désir de se
venger et la concrétisation de ce dessein, en
clair le temps du passage de l’enfance à l’âge
adulte, on est proches du glacial. La petite Mélanie
est une apprentie pianiste appliquée et
prometteuse, qui prépare avec le soutien de
parents aimants et bouchers, le concours d’entrée
au Conservatoire. La désinvolture impolie de la
présidente du jury, la pianiste de renom Ariane
Fouchécourt, signant un autographe en plein
milieu de l’examen de Mélanie,
déstabilise celle-ci, la fait échouer et
renoncer à poursuivre l’apprentissage de
l’instrument.
Des
années plus tard, à l’issue de ses études, Mélanie
effectue un stage dans un cabinet d’avocats
dirigé par le mari de Ariane, à la recherche
d’une personne pour veiller sur son fils Tristan
et seconder son épouse. Mise en présence de
celle qui causa l’arrêt de sa pratique du
piano, Mélanie gagne sa confiance, devient sa
tourneuse de pages et tisse sa toile autour de la
famille Fouchécourt.
La
question sur laquelle bute tout spectateur un tant
soit peu cartésien est de savoir si Mélanie a prémédité
ses actions ou si seul le hasard la remet en présence
de la concertiste et lui fournit ainsi les motifs
et le contexte idéal. Même si on accepte que
l’attitude déplacée et méprisante de Ariane
ait pu largement contribuer au destin de Mélanie,
on a cependant un peu de mal à imaginer que la
jeune fille ait grandi avec un tel fardeau et
auquel cas, l’intention de se venger n’aurait
pu être soumise à un tel concours de
circonstances aléatoires.
Cette
principale invraisemblance relevée, reste à se
pencher sur la qualité intrinsèque de La
Tourneuse de pages, et plus précisément de
son cœur, soit la confrontation directe entre
Ariane et Mélanie dans un jeu étrange et
surprenant du chat et de la souris. D’ailleurs,
la mise en situation (concours et stage chez
l’avocat) prend beaucoup de place pour un format
resserré, qui empêche tout développement du pas
de deux où s’emmêlent fascination, séduction
et manipulation. Dans cette grande maison
bourgeoise au milieu d’un parc arboré propice
à toutes les cachettes, au sous-sol de laquelle
se trouve une piscine angoissante, on s’attend
à ce que le réalisateur en utilise tous les
ressorts pour distiller anxiété et suspense.
Manifestement, il n’opte pas pour ce terrain-là,
n’exploitant pas l’interprétation
hitchcockienne de Déborah François, qui
manie les couteaux et la pique de violoncelle avec
une dextérité surprenante. L’attirance
amoureuse qu’éprouve soudain Ariane pour Mélanie
déconcerte, car rien ne laisse présager de la
part de la grande bourgeoise installée, certes
fragilisée par un accident de voiture qui remit
en question sa carrière, une telle inclinaison.
Denis
Dercourt met en scène avec précision et sans
tape-à-l’œil un univers en vase clos, celui
bien sûr de la famille Fouchécourt, dont les
errements auraient pu inspirer Chabrol, mais aussi
celui tout aussi fermé et codifié des musiciens
que le cinéaste connaît très bien. Cette
revanche, qu’elle soit ou non préméditée, se
double de l’opposition entre deux milieux
sociaux mais souffre d’un traitement sage et peu
dérangeant, là où il aurait fallu être vénéneux
et plus cynique. C’est pourquoi La Tourneuse
de pages, qui ne présente aucun défaut de
fabrication et du même coup aucune aspérité,
ravira le public du samedi soir, banalement émoustillé.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 25 – Sortie le 09 Août 2006
Avec
Catherine Frot, Déborah François, Pascal
Greggory
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