Pour
Bree, le plus beau jour de sa vie approche :
après des années de traitement hormonal, elle
projette de se rendre à Los Angeles pour l’opération
finale et décisive qui jettera aux oubliettes son
passé quand elle était encore Stanley. Pour
l’heure, toute frétillante dans son nouveau
cardigan rose pimpant, Bree met les bouchées
doubles : serveuse dans un restaurant
mexicain, placeuse de contrats par téléphone,
elle doit réunir l’argent pour financer voyage
et intervention. C’est d’ailleurs le téléphone
qui l’informe de l’existence de Toby, un jeune
homme de dix-neuf ans, en prison à New York pour
détention de drogue, à la recherche de son père,
un certain… Stanley. Comme elle ne parvient pas
à convaincre sa psychothérapeute qu’il
s’agit d’une erreur de jeunesse, au temps où
elle était encore un garçon, dont elle
s’occupera à son retour, Bree part à New York
récupérer l’inattendu rejeton auprès de qui
elle se présente comme missionnaire religieuse.
Bien décidée à rejoindre au plus vite la côte
ouest, elle embarque Toby, espérant le larguer
vite fait entre de bonnes et charitables mains.
Bien
sûr, rien ne se passe comme prévu, sans quoi Transamerica
– titre au double sens de circonstance –
n’existerait pas. Bree va donc traîner avec
elle Toby, ex-tapin aux tendances homos, d’est
en ouest, de motels en couchages à la belle étoile,
jusqu’à la famille bourgeoise et conservatrice
de Bree, avant de parvenir à Los Angeles, terme
du voyage pour le duo.
A
partir d’une intrigue prévisible,
s’appropriant le genre galvaudé du road movie
– mais il est vrai que l’Amérique semble
avoir été créée pour l’épanouissement de ce
cinéma-là – Duncan Tucker, dont c’est
le premier long-métrage, réussit l’exploit de
ne jamais sombrer dans la vulgarité ou la
gaudriole. Il rend Bree fondamentalement humaine
et déterminée à mener son projet à bien,
vaille que vaille. La question innocente d’une
petite fille dans un restaurant sur son identité
sexuelle met soudain en relief la fragilité de
Bree. Confrontée à d’innombrables problèmes
pratiques – évaporation des économies, vol de
la voiture et avec elle des hormones, vessie
capricieuse -, Bree multiplie les stratagèmes
pour ne pas être démasquée, même si son
comportement est déjà celui du parent éducateur.
Ainsi elle surveille Toby dans sa consommation de
joints et d’alcool, dans ses postures à table.
Tout ceci est mené tambour battant sur les routes
désertes et chauffées à blanc du sud américain.
Les
choses perdent néanmoins de leur légèreté
lorsque Bree, sans voiture et sans médicaments,
mais toujours avec Toby, n’a plus d’autre
choix que de faire étape chez sa famille. On
craint d’abord le pire au regard du tableau
caricatural et haut en couleurs que Duncan
Tucker brosse de cette famille normative à
souhait. Mais là aussi, le cinéaste ne juge pas
et offre sa chance à tout le monde sans faire
dans la guimauve ni le mielleux.
Transamerica
n’est donc pas seulement un film sur le parcours
d’une transsexuelle, c’est aussi une brillante
comédie humaine qui réfléchit sur le poids de
la famille et de la filiation. L’énorme plaisir
pris à voir Transamerica, qui n’est pas
sans rappeler celui éprouvé l’an passé avec Sideways,
doit aussi beaucoup à la qualité de son interprétation.
Héroïne de la série télé culte Desesperate
Housewives, Felicity Huffman touche à
la perfection dans sa capacité à faire passer
l’ambivalence de son personnage, femme au plus
profond d’elle-même en lutte intime avec
quelques restes de masculinité corporelle. Le
jeune Kevin Zegers, loin d’être joli et
lisse, n’est pas en reste et joue à jeu égal.
Ne
rompant jamais avec son charme insidieux et son
ton joliment subversif, ne se départant jamais
d’un humour mordant, Transamerica nous
balade avec ravissement entre divertissement et émotion.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique américaine – 1 h 43 – Sortie le 26
Avril 2006
Avec
Felicity Huffman, Kevin Zegers, Fionnula Flanagan
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