cinéma

Une jeunesse comme aucune autre de Dalia Hager et Vidi Bilu

[3.5]

 

 

En Israël, les jeunes filles atteignant l’âge de dix-huit ans doivent effectuer leur service militaire. Dans un état en conflit permanent avec la Palestine, en butte aux attentats sauvages et imprévisibles, l’obligation du service s’accompagnant du port de l’uniforme et d’une restriction de la liberté de mouvements n’est pas forcément une partie de plaisir pour ces apprenties soldates. Ce que confirme d’emblée la première scène du film : dans un check-point où les femmes palestiniennes sont contrôlées sans délicatesse par les jeunes militaires, l’une d’entre elles se révolte, semant une belle pagaille qui lui vaut de se retrouver au trou pour quelques semaines.

 

Ecrit par deux femmes travaillant à l’origine sur le thème de l’amitié féminine, Une jeunesse comme aucune autre se concentre sur le parcours de Smadar et Irit, réunies pour former un étrange duo chargé de patrouiller dans un périmètre défini et de vérifier l’identité de toute personne suspecte, autrement dit susceptible d’être arabe et palestinien, pouvant dissimuler un terroriste potentiel. C’est dire le climat d’extrême paranoïa et de tension latente qui règne sur Jérusalem. L’une, Smadar, est une fille indépendante et grande gueule, qui vit seule avec un copain épisodique qui la trouve quand même « à la masse », et qui fait preuve d’une franche mauvaise volonté à exécuter sa mission. L’autre, Irit, est une fille lisse et effacée, vivant encore chez ses parents, obéissante et respectueuse des consignes de ses supérieures. Smadar resquille à la moindre occasion et traîne maussade ses rangers, alors qu’Irit ne déroge à aucune règle. La confrontation soudaine à la pire des réalités du conflit va redéfinir leur relation et leur appréciation mutuelle.

 

Par médias interposés, on pense savoir beaucoup de choses de cette absurde situation qui précipite la région et ses habitants dans le chaos et la panique perpétuels. Mais c’est sans doute la première fois que le sujet est abordé par cet angle surprenant. Des femmes remplissant leurs obligations à l’armée, c’est peu courant et quand elles ne sont pas cantonnées derrière un bureau pour des tâches administratives, c’est encore plus rare et donne un prix à leur regard neuf et innocent.

Une jeunesse comme aucune autre offre en effet plusieurs niveaux de lecture. A travers la vie et les préoccupations somme toute banales de ses deux protagonistes, il réfléchit à comment faire coexister les heures sous l’uniforme et celles de la sphère privée. Mais, sur un plan plus politique, il questionne également la position des femmes au sein de la société israélienne. Placées en périphérie comme mères, sœurs ou épouses de combattants mâles et conquérants, elles assistent en spectatrices consentantes, mais pas dupes, à la perpétuation du conflit. Ainsi, lorsque Smadar et Irit sont prises à parti dans un bus par un vieil homme les accusant de négligence, celui-ci passe outre l’uniforme militaire et les agresse de son statut d’homme.

 

Le premier film de Dalia Hager et Vidi Bilu vient ainsi compléter la liste des films israéliens que nous avons pu voir ces derniers mois comme Prendre femme, Mon Trésor ou Tu marcheras sur l’eau. Il a en commun avec les précédents de mettre en relief les dysfonctionnements intimes d’une société de plus en plus bloquée dans ses mœurs et ses comportements qu’il doit aider à mieux appréhender ses propres réalités sociales et culturelles.

C’est en cela que Une jeunesse comme aucune autre, qui évite tout jugement et porte un regard sensible et humaniste sur ses deux héroïnes, est un film nécessaire, parfois proche du documentaire, mêlant la grande histoire à la petite, dans une réalisation nerveuse. Il délivre aussi un message d’espoir qui fait naître au-delà de l’horreur et de la folie ambiantes la possibilité d’une belle amitié.

 

Patrick Braganti

 

Drame israélien – 1 h 30 – Sortie le 13 Décembre 2006

Avec Smadar Sayar, Naama Schendar, Irit Suki

 

Site du film : www.unejeunesse-lefilm.com