Violence
des échanges en milieu tempéré
de J.M.
Moutout
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Sur un thème rarement abordé par le cinéma, le monde
du travail (on se souvient de l’excellent « Ressources
Humaines » de Laurent Cantet), Jean-Marc
Moutout a réussi à faire un premier film subtil,
intelligent et réaliste, même s’il est parfois un
peu trop manichéen.
L’histoire : Philippe, un jeune consultant
fraîchement intégré au sein d’un grand cabinet de
conseil, démarre avec enthousiasme sa première
mission, l’audit d’une structure de production en
province, afin de préparer confidentiellement le rachat
de l’usine par un grand groupe. Mais ce rachat va
impliquer une restructuration, et donc des
licenciements. Ce qui va amener Philippe à
devoir effectuer un tri des meilleurs « éléments »
parmi les salariés, à travers des « bilans de
compétences » menés en entretiens individuels.
Mais rencontrer les salariés de visu n’est pas chose
facile, entraîne des doutes, des remises en cause tant
professionnelles que personnelles, tant pour Philippe
que pour son entourage… et lui-même doit parvenir à
s’auto-convaincre, et convaincre son amie qui ne
partage pas son point de vue (ses « valeurs » ?),
du bien-fondé de sa mission, pour pouvoir la mener à
terme…
Le film porte bien son titre ; sous un relationnel
la plupart du temps « policé » pointent des
violences parfois difficiles à reconnaître, voire à
accepter. Violence aussi du fond, plus « politique »
qu’il n’en a l’air, et du constat implacable qui
est pourtant le reflet de la société actuelle. Logique
économique qui prend le pas sur les hommes. Société
à double vitesse où certains ont l’impression de
mener le monde à leur guise, alors que d’autres se
sentent laissés immanquablement sur le carreau. Y
croire plus que les autres, pour avoir l’impression de
garder les rênes ? A cet égard, la soirée
« grande mess » du cabinet conseil, où
l’esprit d’entreprise forcené (« Work is
hard, play is hard ») anime tous ses
consultants, est édifiante.
Aucune illusion idéologique, ni jugement moraliste
facile dans ce film. Pas de complaisance non plus dans
l’analyse des personnages. Le traitement fait dans la
sobriété, et est d’autant plus percutant. Et la
grande force de l’histoire est qu’elle nous amène
à nous poser des questions sur notre rapport avec le
travail et la société. Sur les compromis
(compromissions ?) que chacun peut être amené à
faire pour s’en sortir. Sur la logique individualiste
qui prend souvent le pas sur la solidarité. Sur les
ambivalences qui jouent tout autant dans la vie
professionnelle que dans la vie privée (le portrait de
la petite amie est à cet égard intéressant :
intransigeante dans son rapport avec le monde du
travail, elle est beaucoup plus ambiguë dans sa
relation amoureuse), une manière pour le cinéaste de
dire que, finalement, personne n’est épargné, et
qu’on est tous amené, par intermittence, à
s’arranger avec la réalité, voire à faire preuve
d’ambiguïté ou de lâcheté quand ça nous arrange.
Sur ce scénario intelligent et bien structuré,
l’interprétation est sans faille ; du consultant
senior, monstre de cynisme et d’opportunisme (Laurent
Lucas, toujours impeccable !) au junior qu’il
chapeaute (Jérémie Régnier, découvert dans
« La promesse » des frères Dardenne,
et qui montre dans ce film qu’il est un acteur, décidemment,
à multiples facettes), en passant par les rôles
secondaires, tous convaincants (Cylia Malki,
Samir Guesmi, Dani, Martine Chevallier…).
Au final, voici – encore – un premier long métrage
très réussi, construit et intelligent, qui a su éviter
de nombreux pièges (dont celui du pathos), et qui
laisse ainsi présager du meilleur pour la suite de la
carrière de Jean-Marc Moutout.
Cathie
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