Adoubé
par Gus Van Sant, Larry Clark,
photographe émérite, venu sur le tard au cinéma,
ne cache pas sa fascination pour le corps et le
comportement des adolescents. Jusqu’à présent,
il a mis en scène des jeunes gens blancs, plutôt
favorisés, et les a utilisés comme vecteurs émoustillants
pour dénoncer la déliquescence avancée de son
pays. Ainsi les ados vénéneux et terriblement
sexy de Clark trompent-ils
leur ennui et leur angoisse face à un
avenir incertain et vide, en se réfugiant dans la
drogue et l’alcool, pratiquant une sexualité débridée
et perverse, commettant parfois un meurtre sans la
moindre conscience du mal. On veut bien admettre
qu’ils sont tous les victimes d’un système en
déréliction, on a aussi le droit de ne pas tous
les trouver géniaux ni sympathiques. Ce qui, au
passage, n’enlève rien au talent du
photographe, se définissant lui-même comme
observateur social.
Changement
d’environnement et de groupe ethnique pour Wassup
rockers. Suite à une séance photos pour le
magazine français Rebel, le cinéaste fait
la connaissance d’un groupe de latinos vivant à
South Central, ghetto miséreux de Los Angeles.
Ces gamins âgés de 12 à 14 ans sont des mordus
de skate, mais ne portent pas la panoplie
habituelle du skater : pas de baggy bas des
fesses, pas de tee-shirts amples. Ici les jeans
sont serrés, les maillots collants, non par souci
réel de se démarquer, mais pour des motifs
nettement plus prosaïques : issus de
familles pauvres, ces gosses traînent les mêmes
frusques depuis des années. Forcément, elles
commencent à leur coller un peu à la peau.
Mais
ce n’est pas seulement le look qui diffère ici :
ces joyeux latinos, hormis leur hobby de la
planche et du punk-rock, sont tout à fait sains
et équilibrés : pas de drogue, pas
d’alcool, pas de cigarettes et pas de révolte
contre la société. Donc plutôt bien dans leur tête,
phénomène ö combien surprenant si l’on songe
au climat d’insécurité et de violence dans
lequel ils vivent et qui empêche tout
apprentissage – leur scolarité ne rime pas avec
assiduité – et qui oblige à lutter contre la
pression à se conformer au modèle dominant,
celui du gangsta-rap et de la dégaine hip-hop.
En
partageant du temps avec eux et en parvenant à
les apprivoiser, Larry Clark a eu l’envie
de construire un film autour d’eux : dans
un premier temps, Wassup rockers se présente
comme un documentaire. Mais l’escapade de la
petite tribu à Beverly Hills où se trouve un
spot qu’elle convoite fait du même coup
basculer le film dans la fiction. Les jeunes
latinos font en effet tache dans le monde blanc,
aseptisé et friqué du quartier huppé de Los
Angeles. Ils ont déjà quelques soucis avec un
flic que leur présence joueuse et inoffensive
semble déranger. Puis lorsqu’ils se rendent
chez deux adolescentes blanches rencontrées sur
le spot et séduites par les jolies gueules des
gamins de banlieue, l’irruption des frères aînés
déclenche leur fuite précipitée et une belle
pagaille. C’est à la fois drôle et enlevé,
mais aussi cruel et féroce. L’opposition de
deux univers pourtant proches géographiquement
met en relief la débâcle de la société américaine
et les symptômes de ses maux. Dans leur cavale à
travers les parcs des villas, les ados tombent
tour à tour sur une vieille actrice sur le
retour, imbibée d’alcool, sur la fête d’un
designer homo tentant de récupérer les jolis
petits gars et enfin sur un vieux réactionnaire
tirant sur tout ce qui bouge. Cette succession
d’épisodes cocasses est menée à un rythme
d’enfer.
En
changeant d’univers, en mettant entre parenthèses
sa provocation légendaire, en délaissant ses
centres d’intérêt coutumiers – ici le sexe,
quasiment absent, est abordé de manière plus
naturelle -, Larry Clark se renouvelle avec
brio et insuffle tendresse et douceur dans Wassup
rockers, sans se départir d’une véritable
acuité politique.
Patrick
Braganti
Drame
américain – 1 h 46 – Sortie le 5 Avril 2006
Avec
Jonathan Velasquez, Francisco Pedrasa
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