Tous
ceux qui ont aimé Intervention Divine du
palestinien Elia Suleiman en 2002 devraient
aisément retrouver leurs marques dans le second
film du marocain Faouzi Bensaîdi tant les
univers, où l’absurde et le décalé viennent
illustrer la suspension temporelle, des deux cinéastes
sont proches. Donc, esprits cartésiens
s’abstenir pour pouvoir pénétrer What a
wonderful world, tour à tour agaçant et
captivant, passant à sa propre moulinette des références
cinématographiques aussi variées que digérées.
Ce
n’est sans doute pas par hasard que What a
wonderful world prend place à Casablanca,
ville sur l’Atlantique, vigie lorgnant vers l’Europe
proche et séduisante, enfin cité paradoxale,
partagée entre archaïsme, traditions et modernité.
Perché sur le toit d’un hôtel de la ville,
Kamel est un énigmatique tueur à gages,
solitaire et flegmatique, qui tombe amoureux de la
voix de la copine d’une prostituée dont il
s’offre les services après chaque affaire
conclue. Une quête s’engage donc entre Kamel et
Kenza, la voix, qui est aussi agent de la
circulation. A côté de ce duo principal viennent
se greffer des histoires satellitaires.
What
a wonderful world ne peut en aucune manière
se circonscrire à son histoire. Il est avant tout
un film de climat et d’ambiance auquel la trame
narrative sert juste de colonne vertébrale ou de
prétexte. Faouzi Bensaîdi, sorte de Buster
Keaton maghrébin, déconcerte par la
singularité de sa mise en scène et les formes
utilisées, ce qui en fait un cas à part dans un
cinéma méditerranéen habituellement plus balisé
et convenu. Le jeu du chat et de la souris n’est
au fond qu’une excuse pour le réalisateur à
une plus globale et plus ambitieuse déclaration
d’amour à tout le cinéma qu’il affectionne.
Ses maîtres sont nombreux et leur ombre tutélaire
finit par peser sur un film à qui l’on
reprochera de ne pas forcément exister pour et
par lui-même. Outre l’influence évidente de Suleiman
et du burlesque américain, on pense aussi à Tati
(chorégraphies dans la ville), Kitano et Melville
(violence et apathie apparente dans le milieu des
truands). Ici ce qui convainc et enchante, c’est
le talent de Faouzi Bensaïdi – qui
interprète par ailleurs le rôle de Kamel – à
mettre en scène une multitudes de corps ou
d’objets dans un cadre déterminé. Ainsi, les
scènes de poursuite à l’intérieur du centre
commercial et le ballet des voitures orchestré
par Kenza sont-ils les moments les plus rythmés
et les plus jouissifs du film, qui souffre néanmoins
de quelques artifices déplaisants :
incrustation à l’écran de textes déclinant
l’identité et les caractéristiques des
personnages, ralentis appuyés et répétition des
travellings latéraux, musique envahissante.
Ce
bel exercice (de style ?) qui mélange les
genres et les références avec science et bonheur
ravira avant tout les cinéphiles, toujours
curieux d’avoir des nouvelles de cinématographies
lointaines et rares. Il faudra être plus
perspicace pour appréhender ce que What a
wonderful world, dont les trois initiales sont
un clin d’œil volontaire à la virtualité même
de son sujet, nous dit du Maroc et de ses
contrastes. What a wonderful world sera
donc vu comme une curiosité, le travail malin
d’un garçon doué et amoureux indéfectible du
cinéma.
Patrick
Braganti
Drame
marocain – 1 h 39 – Sortie le 10 Janvier 2007
Avec
Faouzi Bensaïdi, Nezha Rahil, Fatima Attif
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