Le
plus difficile avec Anna M. consiste à se
faire une idée précise sur ce que l’on en
pense. Non pas du film, globalement moyen, mais
sur cette étrange jeune fille qui va nous faire
passer par une succession d’impressions qui vont
de la franche irritation à une profonde
compassion mâtinée de pitié. La versatilité du
spectateur pouvant être vue comme un écho
empathique à celle des ressentiments de la dénommée
Anna M. qui en parfaite érotomane –
personne atteinte de l’illusion délirante d’être
aimée par quelqu’un – connaît à son tour
les étapes qui en jalonnent la progression :
illumination, espoir, dépit et haine.
Il
ne faut pas longtemps au spectateur avisé pour
comprendre que quelque chose ne tourne pas
vraiment rond chez Anna M. Elle a tout de
la vieille fille, poussiéreuse et sentant le
renfermé. Restauratrice de livres anciens dans
une bibliothèque hors du temps, elle vit chez sa
mère qui ne semble guère aller mieux. Plus aucun
doute ne subsiste sur son état mental lorsqu’au
cours d’une balade vespérale avec son chien,
elle se jette sous une voiture dans une tentative
de suicide qui restera inexpliquée.
C’est
le docteur Zanevsky chargé de la soigner qui
cristallise soudain l’intérêt de la jeune
femme qui se persuade avec l’énergie du désespoir
et de la passion morbide que celui-ci est tombé
amoureux d’elle. Après quelques manœuvres
d’approche, Anna M. devient persécutrice
et transforme la vie du médecin et de sa famille
en enfer.
A
partir d’une pathologie paraît-il fréquente,
notamment chez la gent féminine, Michel
Spinosa opte pour un thriller intimiste, un
film fantastique, et non l’exposition froide et
explicative d’un cas médical. Il est vrai que
l’énergie folle et manipulatrice manifestée
par Anna M. aux ressources inépuisables dès
qu’il s’agit de traquer le docteur Zanevsky
est le terreau idéal au déploiement de
situations chocs qui atteignent leur paroxysme
quand elle s’impose comme baby-sitter chez le
voisin du dessus du médecin. Dès lors, c’est
l’escalade assurée dans le délire qui conduit Anna
M. tout droit à l’asile avant une rédemption
mystique assez improbable, comme si le cinéaste
n’avait su quelle issue trouver à la dérive de
son héroïne.
De
Anna M. on risque fort de ne garder qu’en
mémoire l’interprétation virtuose d’Isabelle
Carré, effectivement géniale et habitée, à
mille lieues de son rayonnement habituel. Dans sa
composition, on est stupéfiés par
l’impossibilité à lui donner un âge et
l’expression de son regard complètement
nouvelle.
Malgré
sa belle facture indéniable (photo magnifique et
cadrages aux petits oignons), Anna M. ne
parvient pas à nous faire oublier son côté
exercice de style et performance d’actrice. Mais
il sait néanmoins jouer avec nos nerfs mis à
rude épreuve et nous faire éprouver une belle
palette de sensations, prouvant ainsi que
l’effroi peut trouver ses racines sans effets spéciaux
ni effusion d’hémoglobine.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 46 – Sortie le 11 Avril 2007
Avec
Isabelle Carré, Gilbert Melki, Anne Consigny
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