cinéma

après lui de Gaël Morel

[4.0]

 

 

Jusqu’à présent, le cinéma de Gaël Morel a été largement imprégné de ce qui le constitue, et dans une moindre mesure de l’influence tutélaire de André Techiné, qui en 1994, lui mit le pied à l’étrier du septième art en lui proposant un des rôles principaux des Roseaux Sauvages. Autrement et plus crûment dit, Gaël Morel a mis en avant et en scène son penchant non dissimulé, sinon revendiqué, pour les garçons en général, et plus précisément pour ceux du Maghreb qui seront ainsi aux avant-postes de ses trois premiers films : A toute vitesse (1996), Les Chemins de l’Oued (2003) et Le Clan l’année suivante. Il était donc temps que le jeune cinéaste s’extirpe d’un canevas bien trop balisé et corseté pour lui permettre d’exprimer la pleine mesure de son talent.

 

Ce qu’il parvient à approcher – mais pas à atteindre complètement – avec Après lui, qui paradoxalement retisse les liens de la filiation avec Techiné par l’appropriation d’une de ses comédiennes fétiches : Catherine Deneuve, en personne, qui plus est dans une composition de femme éprouvée et borderline comme le réalisateur valencien lui en a régulièrement offert.

Camille est une libraire lyonnaise, autoritaire et indépendante, vivant seule avec son fils Mathieu. Elle voit sa vie brisée par la disparition de celui-ci dans un accident de voiture. Incapable de faire son deuil, Camille se rapproche de Franck, meilleur ami de son fils, mais aussi conducteur de l’automobile la nuit du drame, et donc tenu aux yeux des autres (la copine, les amis et la famille de Mathieu) pour responsable, même involontaire.

Dès l’enterrement, l’attitude de Camille qui ramène avec elle Franck dans son appartement au grand dam des présents suscite la controverse, l’incompréhension et le rejet plus ou moins affiché. Loin d’être déstabilisée dans cette démarche par leurs positions, Camille propose à Franck un petit boulot dans sa librairie et passe avec lui de plus en plus de temps, développant une affection qui vire à la quête obsessionnelle et au harcèlement.

 

Comme il l’indique lui-même, Gaël Morel n’a pas voulu réaliser un film moribond ou mortifère et c’est pourquoi place t-il résolument Camille du côté de la vie, dont la détermination à aller de l’avant et à vouloir mieux connaître son fils à travers les souvenirs de Franck ne signifie aucunement le renoncement ou l‘oubli de la peine. Il y a donc chez Camille un choix de se réinvestir incessamment dans la vie et dans l’action, le désir de reproduire avec Franck les conditions qui précédèrent l’accident, la volonté de cerner ce qu’était son fils en transférant sur son meilleur ami la tendresse désintéressée et désormais sans objet.

Malgré son aspect masculin – on voit Camille le plus souvent en pantalon et en veste de cuir – et son indépendance – elle est divorcée et son commerce lui assure l’autonomie financière – Camille intimement et profondément ravagée par la mort de Mathieu n’a plus qu’une issue, celle de se sauver. Une option à prendre dans tous les sens du terme : d’abord, envisager sa sauvegarde personnelle, y compris par ce moyen insolite de placer Franck sous sa protection maternelle, ensuite rejoindre Lisbonne où celui-ci s’est exilé et où Mathieu avait connu un si bel été.

 

A l’image de son climat souvent nocturne, Après lui est un film sombre et opaque, travaillant sur le mystère de ses personnages. Il est ainsi impossible de savoir exactement ce que cherche Camille. Mais la violence de ses derniers actes, l’ultime regard saisi par la caméra laissent envisager une femme qui va pour l’heure de plus en plus mal. Catherine Deneuve, dont on perçoit dorénavant la distance qu’elle a pris avec sa propre image et en fait la plus grande actrice française actuelle, excelle dans ce rôle peu aimable, revêche, celui d’une femme déterminée à vivre, quitte à aller à contre-courant et choquer son entourage.

 

Tandis que Christophe Honoré, qui participe au scénario de Après moi, traite avec grâce et légèreté, de la mort et de l’absence dans Les Chansons d’amour, Gaël Morel signe un opus nettement plus douloureux et sombre, où la folie côtoie l’irrationnel.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 30 – Sortie le 23 Mai 2007

 

Avec Catherine Deneuve, Thomas Dumerchez, Guy Marchand, Elodie Bouchez, Elli Medeiros