Le
13 Septembre 2002, trois jeunes skinheads, dont un
mineur, sympathisants du Front National, se
revendiquant des mouvements néonazis
(accoutrements et tout l’arsenal retrouvé dans
leur chambre respective en attestent) sortent dans
les rues de Reims avec la ferme intention de
« casser de l’arabe ». Faute
d’en trouver, ils se rabattent sur un parc de la
ville et s’en prennent à François Chenu, jeune
homosexuel, qui mourra noyé quelques heures plus
tard.
Dévastée
par le chagrin, anéantie par la colère et ravagée
par la haine, la famille de François, ses
parents, sa sœur et son frère, vont engager un
procès avec l’ambition de chercher à se
reconstruire sans renier aucune de leurs valeurs :
le respect de l’autre et de son humanité.
Le
documentaire de Olivier Meyrou démarre
exactement 730 jours après le tragique événement.
La première étape déclenchant le processus de
reconstruction en vue de dépasser la douleur et
de trouver la voie permettant justement d’aller au-delà
de la haine est l’acceptation de la caméra
et de la prise de parole. La seconde étape,
c’est comment l’on parvient à reprendre
progressivement le contrôle d’une vie. La
disparition subite et arbitraire d’un fils aîné,
d’un frère, plonge effectivement la famille
dans la dépossession et la possibilité d’un éclatement,
d’un anéantissement dont chaque membre perçoit
bien que l’incapacité à surmonter et à passer
outre – ce que l’on nomme aujourd’hui d’un
terme savant : la résilience – les
conduira au chaos.
Olivier
Meyrou accompagne la famille Chenu sur le long
et solitaire chemin qui va la mener au dépassement
du chagrin vers une sérénité, certes relative
et douloureuse. Le documentaire emprunte une voie
chronologique, retraçant le déroulement de la
soirée fatale, la préparation du procès aux
Assises de Reims, le jugement et la vie après.
Le
documentariste a peu tourné, une vingtaine
d’heures, et a choisi un dispositif simplifié
avec dissociation des prises de son et du tournage
des images. De longs plans fixes montrant le lieu
du crime – un parc soudain banalisé – servent
ainsi de cadre pudique aux moments les plus
intenses du film. On écoute ainsi la sœur de
François raconter cette journée terrible où
elle alla à la police, dut reconnaître le corps
de son frère (seul son visage avait été massacré
par les trois agresseurs) et dut enfin apprendre
la nouvelle à ses parents.
En
écoutant cette famille réellement exceptionnelle
dans sa démarche et sa volonté de redonner sens
à sa vie, on entrevoit la personnalité de la
victime : un garçon heureux de vivre,
assumant tranquillement son homosexualité, qui se
pose ce soir-là en résistant à la bêtise et à
l’horreur gratuite, et va renvoyer frontalement
leur lâcheté à trois pauvres types, persuadés
d’avoir devant eux un sous-homme.
François
Chenu a donc payé de sa vie son refus de
l’intolérance et de la haine de l’autre, des
repères que ses parents lui avaient légués et
qu’ils vont à leur tour – et avec quelle
dignité – s’approprier.
Le
témoignage d’un tel humanisme et de la volonté
que cet atroce gâchis d’une vie puisse
alimenter une réflexion collective réconcilie
avec le genre humain. Au-delà de la haine
se termine avec la lecture par les parents de François
de la lettre qu’ils adressent aux trois
agresseurs six mois après le verdict. Et là on
ne peut que s’incliner devant autant de tolérance,
d’ouverture d’esprit qui amènent à reconnaître
la nécessité de la justice rendue à tout
humain, fût-il le bourreau le plus cruel, et
celle du pardon. Récompensé du Teddy Award
du meilleur documentaire au festival de Berlin en
2006, Au-delà de la haine est un sobre et
vibrant plaidoyer pour la tolérance et le rôle
thérapeutique de la parole et prouve de manière
éclatante qu’on peut traiter un tel sujet avec
la juste distance, en évitant tout
sensationnalisme et toute intrusion
irrespectueuse.
Patrick
Braganti
Documentaire
français – 1 h 25 – Sortie le 14 Mars 2007
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