Aux
abois
de Philippe
Collin
[3.5]
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Selon l’adage répandu
« La critique est aisée, l’art est difficile »,
on ne peut que se réjouir que certains critiques de cinéma,
et pas des moindres, laissent tomber plumes ou micros
pour se mettre derrière une caméra et s’exposer du même
coup aux jugements de leurs coreligionnaires. Après Thierry
Jousse il y a quelques mois, c’est au tour de Philippe
Collin de livrer le fruit de son travail, à la
seule différence que ce dernier n’en est pas à son
coup d’essai. Mais il s’est écoulé dix années
depuis Les Derniers jours d’Emmanuel Kant, évocation
personnelle des ultimes moments de la vie du philosophe.
Pour ce nouveau film, Philippe
Collin adapte le roman éponyme de Tristan
Bernard, auteur humoristique et plutôt boulevardier
du début du XXème siècle. Situé dans les années 30,
le roman narre la cavale d’un assureur moyen devenu
assassin. Le cinéaste a choisi de transposer l’action
à la fin des années 50 afin de ne pas être piégé
par le poids de la reconstitution. Ici les années 50
sont évoquées par de petites touches comme un
tourne-disque, un cabriolet rouge, des téléphones en
bakélite noire ou un réveil de voyage, sans oublier
les michelines empruntées et les vêtements portés.
Des objets que Philippe Collin a un plaisir
manifeste à filmer, tout comme ces grands murs de
pierre le long desquels déambule l’étrange assureur
Paul Duméry.
Aux abois est un film
singulier et déroutant parce qu’il refuse toute
expression d’une quelconque émotion. Son triste héros
qui offre une composition exceptionnelle à Elie
Semoun paraît être loin de tout, comme replié
dans ses propres pensées et obsédé par son remords.
Seule l’hasardeuse rencontre avec Simone – la trop
rare Ludmila Mikaël -
offre à Paul rebaptisé Rémi pour le coup une trêve
amoureuse, un moment de répit avant que la police ne
finisse par le rattraper. Le film accompagne Paul en
prison et jusqu’à son jugement et c’est sa partie
la moins captivante, toujours traitée sur le même ton
distancié et ironiquement raffiné. C’est bien l’
œuvre d’un dandy et d’un esprit libre désireux de
s’affranchir de tout formatage. Et il y a du plaisir
à suivre Paul dans sa cavale du côté de la Normandie,
ses plages lumineuses et ses forêts profondes, au
hasard de ses rencontres. Simone bien sûr, mais aussi
Savournin – l’excellent Jean-Quentin Chatelain
– ancien copain d’armée reconverti comme policier.
Tout cela est déroutant, absolument pas cartésien et
donc totalement jubilatoire.
L’harmonie dégagée par ce
petit bijou finement ciselé doit sans doute beaucoup à
la collaboration fructueuse et osmotique entre Philippe
Collin et Elie Semoun, qui insufflent par
leur mise en scène et leur jeu grâce et climat désopilant
à un film apparemment froid. Certes déconcertant, mais
truffé d’un charme à se laisser prendre.
Patrick
Braganti
Film
Français – 1 h 37 – Sortie le 21 Septembre 2005
Avec
Elie Semoun, Ludmila Mikaël, Philippe Uchan
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