Aviator
de Martin
Scorsese
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Il faudrait, pour
parler de aviator,
évacuer d’emblée la question du personnage officiel Howard Hughes, faire en somme comme Martin Scorsese, peu préoccupé de coller aux canons du biopic,
genre (on l’a vu) à haut risque. Car, s’il parvient
à donner vie à l’un des plus grands héros de la
mythologie du XXème siècle (sa célèbre fin de vie,
reclus dans son immense appartement de Las Vegas), c’est en le considérant non de face –comme le
ferait par exemple une biographie à l’américaine-
mais de biais, en esquissant ainsi le portrait générique
d’un homme dans sa plus grande solitude.
Plus que tout autre chose (l’aviation, le cinéma, la
richesse), aviator est en effet l’histoire d’un homme seul. Scorsese,
tout au long de sa carrière n’a d’ailleurs jamais
cessé de travailler dans ce sillon. En creux (Le
temps de l’innocence) ou plus frontalement (le Jake
La Motta de Raging
Bull, le Rupert
Pupkin de La
valse des pantins), ses films n’ont de cesse de
traquer sous différents masques l’impossible
communion au monde d’individus littéralement hors
de leur temps. Des personnalités d’handicapés
sociaux, incompris de leurs entourages, ce qui -selon le
réalisateur- va de pair avec l’audace (au sens large)
dont ils font preuve. Mieux : s’ils ont
l’audace et l’ingéniosité d’inventer de
nouvelles formes dans leurs genres respectifs (la boxe
pour La Motta
ou la comédie pour Pupkin),
c’est précisément du fait même de (ou grâce à)
leur impossible convergence au monde.
On comprend donc mieux ce qui l’a poussé à investir
son énergie dans ce film de commande (il faut le
rappeler). Et très vite, on retrouve à l’écran le
style virtuose qui fait sa marque : longs plans-séquences,
inventivité renouvelée (avec une utilisation pour une
fois pertinente de la technologie numérique), enchaînements
parfaits ; bref, une jubilation de plaisir envahit
le spectateur, qui assiste en direct à un spectacle
enlevé, vif, généreux, souvent drôle et
plastiquement très beau. Léonardo
Di Caprio surprend ; on craignait ses épaules
(éternellement ?) juvéniles incapable de (sup)porter
un rôle si lourd : il n’en est rien. En prenant
du coffre, la star désormais trentenaire offre à son
jeu une finesse fort à-propos. Et si le film est une réussite,
il le lui doit en partie.
Le
reste du casting remplit son rôle de
figuration/faire-valoir, et peu importe les
dissemblances physiques entre Cate
Blanchett et Katharine
Hepburn ou, plus flagrantes, Kate
Beckinsale et Ava Gardner.
Car ce qui compte ici pour Scorsese,
c’est de tracer le portrait d’un grand malade. Howard
Hughes souffrait (est-ce le mot qui convient tant sa
maladie eut de créatives conséquences ?) d’une
névrose obsessionnelle se traduisant (entre autres) par
une phobie des microbes, entraînant des lavements répétés,
des mains notamment. Mais sa névrose dépassait ce seul
cadre spectaculaire des rituels hygiéniques et
trouvait, dans l’immense fortune de Hughes, un terreau favorable à son développement. Jamais, tout au
long du film, Hughes
ne cherche à limiter sa soif vitale d’avancée,
de perfectionnisme névrotique. Ainsi, il fait
reconstruire ses prototypes d’avions jusqu’à en
obtenir des corps aussi lisses que ceux des femmes ;
il tourne, visionne, retourne, monte et remonte des
centaines d’heures de son film Hell’s
Angels pour obtenir ce qu’il cherche (et ne
trouvera, par définition, jamais) ; il place ses
maîtresses sur écoute systématique ; il hypothèque,
enfin, ses entreprises afin de dégager les financements
nécessaires à sa ‘folie des grandeurs’. Cette façon
de dépenser sans compter est d’ailleurs l’un des
symptômes en soi (peut-être le plus flagrant) de son
esprit obsessionnel (sur les causes de la maladie de Hughes, difficile de suivre Scorsese.
Il n’est pas nécessaire d’avoir étudié Freud en
profondeur pour savoir en effet qu’une névrose
obsessionnelle ne se réduit pas à un simple souvenir
d’enfance dont l’image peut subrepticement revenir.
Les chemins noueux de l’inconscient n’autorisent
malheureusement pas de tels raccourcis).
La mis en scène de Scorsese, toute en maestria au début, évolue au fil du film,
laissant progressivement place à une lenteur de
circonstance. Plus Hughes
s’enfonce dans ses rituels (jusqu’à cette scène où
il reste cloîtré plusieurs jours dans sa salle de
projection), plus le récit s’enlise dans des considérations
moins passionnantes (affaires
d’entreprises/comparution devant une commission
parlementaire). Tout se passe comme si, à la
traditionnelle démonstration biographique (donc sociale
et historique), Scorsese
préférait la solitude silencieuse (seulement brisée
par les incantations malades de Hughes)
d’un homme rongé de l’intérieur, héros
shakespearien définitivement perdu –le dernier plan
est magnifique- dans sa nuit des temps.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 2h45 – Sortie 26 Janvier 2005
Avec Leonardo DiCaprio, Cate Blanchett, John C. Reilly
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