cinéma

L’Avocat de la terreur de Barbet Schroeder

[5.0]

 

 

En 1974, Barbet Schroeder avait signé un documentaire décapant sur le général Idi Amin Dada, de sinistre mémoire. Plus de trente ans après, il explore aujourd’hui le parcours de Jacques Vergès, avocat à la réputation sulfureuse. Un encart nous prévient d’emblée : le film que nous allons voir expose le point de vue personnel et forcément subjectif du réalisateur, ce qui peut susciter controverses et désaccords. Etrangement, ce parti pris ne s’accompagne pas d’ajout de commentaires de la part de Barbet Schroeder, presque effacé, dont on entend à peine la voix lors de quelques interviews. La distance ainsi instaurée va permettre à son tour au spectateur de se forger sa propre opinion et sans doute de réviser des idées toutes faites ou fantasmées sur un homme infiniment complexe et charmeur. Sans aucunement avaliser les orientations prises par Vergès ces dernières années, force est de reconnaître que le long travail de Barbet Schroeder nous ébranle et finit plus par semer le doute que par fixer un avis définitivement tranché.

 

Plus qu’à ses faits d’armes récents, le documentaire s’attache à deux périodes importantes et fondatrices de la carrière de Jacques Vergès. La première prend place au milieu des années 1950 en Algérie où l’avocat fraîchement émoulu – il a néanmoins déjà 30 ans, venu au droit tardivement après des études de lettres et de langues orientales – devient le défenseur de la cause anticolonialiste et des poseurs du bombes du FLN, dont Djamila Bouhireb à qui il évite la peine capitale grâce à l’invention d’un système de défense basé sur la rupture et à son entregent qui transforme la terroriste en figure héroïque. Dans cette affaire s’associent inextricablement la vision du monde de Vergès et l’attirance qu’il ressent pour Bouhireb, qu’il épousera d’ailleurs à l’issue de sa libération suite à la grâce présidentielle.

La seconde période, que l’on peut envisager comme une redite moins flamboyante et nettement plus interlope de la première, concerne les années Carlos, celles des multiples attentats sur le territoire français et qui posent les bases de ce qui va devenir le terrorisme international. Le combat de Vergès s’est déplacé de l’Algérie vers la Palestine en commençant à flirter avec la provocation et l’irrespect. Cette fois encore, la présence d’une femme, Magdalena Kopp, future épouse de Carlos, interfère dans la démarche de l’avocat, même si ses relations avec la terroriste allemande resteront platoniques.

 

L’intrusion de l’affectif dans le cursus d’un individu qualifié au mieux de crapule ou de salopard trouble forcément notre vision. Que se cache-t-il derrière ce masque, ces sourires ironiques, ce discours au débit volontiers lent dont les pauses après une cinglante répartie, un mot d’esprit semblent toujours quêter une approbation ou une reconnaissance ? Et si c’était bien de ce côté-là qu’il fallait fouiller en remettant en perspective les origines de Vergès ? Né dans les années 20 en Thaïlande d’une mère vietnamienne et d’un père français originaire de la Réunion, Jacques Vergès s’est toujours perçu comme un étranger, un colonisé, en guerre perpétuelle contre les oppresseurs et les colonisateurs de tout poil. Un homme en colère, redoutablement intelligent et séduisant, dont on saisit la fascination qu’il a pu exercer sur son entourage. Si les femmes (sa collaboratrice Neda Vidakovic, son amie Rolande Girard-Arnaud) semblent être sous son charme, on est étonnés de constater l’étendue et la diversité de son réseau d’amis (le dessinateur Siné, Jérôme Lindon créateur des Editions de Minuit qui publia ses premiers écrits).

 

La disparition de Vergès de 1970 à 1978 sur laquelle circulèrent les rumeurs les plus insensées parachève le portrait de l’avocat en homme complexe et romanesque en diable, ambigu et mégalomane, qui s’est depuis sa réapparition spécialisé dans la défense des indéfendables : la litanie des dictateurs africains, mais aussi Klaus Barbie, en témoignent au générique de fin.

Outre le passionnant portrait d’un homme qui a traversé une bonne partie du vingtième siècle et a sillonné le monde entier, L’Avocat de la terreur sert aussi de magistrale leçon d’histoire contemporaine, retissant pour nous les liens entre différentes régions de la planète et rappelant du coup une genèse du nouveau terrorisme lui aussi mondialisé.

 

Patrick Braganti

 

Documentaire français – 2 h 15 – Sortie le 6 Juin 2007

Avec Jacques Vergès, Béchir Boumaza, Hans-Joachim Klein

 

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