Blood
and Bones
de Yoichi Sai
[3.5]
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En 1923, le jeune Shunpei quitte sa Corée natale en
direction du Japon avec l’ambition d’y faire fortune
et de laisser derrière lui un pays vaincu et humilié
par le voisin nippon tout-puissant. Rien ne laisse présager
que ce beau jeune homme au sourire énigmatique et aux
yeux pétillants d’intelligence matoise va se
transformer en un homme cruel et violent, entièrement dévoué
à sa seule ascension. Car de 1923 à 1984, c’est la
trajectoire extraordinaire et fascinante que nous
suivons pendant plus de cent quarante minutes tout au
long d’une fresque tumultueuse et parfois nauséeuse
à force de coups et de cris. L’ambitieux Shunpei ne
connaît que le langage brutal des poings pour se faire
obéir de sa femme et de ses deux enfants d’abord, de
ses ouvriers ensuite lorsqu’il monte une petite
affaire de conserverie de surimi. La terreur règne sans
partage au sein de la maisonnée où Shunpei aboie des
ordres et fait pleuvoir coups et claques sans
discontinuer. Très porté sur le sexe, il interpelle
son épouse – comme ses nombreuses maîtresses, au
demeurant – d’un cinglant « à poil »
qui ne souffre aucun refus dès lors qu’il veut tirer
son coup. D’ailleurs, un jeune homme se présente un
jour à sa porte comme son fils, résultat d’une
ancienne liaison. Après lui avoir offert son toit,
Shunpei fout à la porte dans une baston mémorable
l’enfant illégitime qui finira poignardé quelques
semaines plus tard. Et tout est à l’avenant :
aussitôt quelqu’un proteste t-il ou manifeste quelque
opposition, aussitôt Shunpei tue dans l’œuf ces velléités
de rébellion.
Donc
un personnage antipathique, qui ne trouve sa raison de
vivre que dans la destruction et le conflit, honni par
sa famille et son entourage dont les seuls instants de répit
– sinon de joie – sont provoqués par son absence.
Son déménagement à quelques mètres de sa résidence
initiale ne change pas grand-chose et c’est sa
nouvelle compagne tombée gravement malade qui fait désormais
les frais de ses colères et de ses débordements.
Même si le film se veut une fresque sur soixante années,
il est en même temps étrangement resserré : sur
son personnage principal dont le réalisateur épouse la
folie démoniaque en y mettant la distance nécessaire ;
sur son environnement tant l’action se situe dans un périmètre
circonscrit à une rue et ses habitations. Le passage du
temps est ici marqué non par les acteurs mais par
quelques signes de progrès comme les moyens de
locomotion : vélo, voitures puis avion ponctuent
et datent le déroulement.
L’énorme
intérêt de Blood and bones provient avant tout
de la composition de Takeshi Kitano : non
seulement il est le grand cinéaste que l’on sait,
mais il est aussi cet acteur incomparable qui a porté
au pinacle l’art du non-jeu. Ici il parvient à rendre
ambigu et plus compliqué qu’il n’y paraît son
personnage de cinglé qui ne vit que pour mettre à sa
botte le monde entier.
Adaptation du roman homonyme de Yan Sogiru, Blood
and bones est le portrait captivant d’une bête
humaine rongée par son ambition, sa cupidité et son désir
de vaincre. On n’en ressort pas avec une vision plus
optimiste de la condition humaine. Ce personnage
monstrueux qu’on adore détester est le gage principal
de l’intérêt porté au film à qui on pardonne
d’autant plus aisément sa mise en scène un poil académique
et une narration somme toute conventionnelle.
Patrick
Braganti
Film
Japonais – 2 h 20 – Sortie le 20 Juillet 2005
Avec
Takeshi Kitano, Hirofumi Arai, Kyoka Suzuki
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