Atavisme
familial : chez les Sheen / Estevez,
la politique est une religion, le parti démocrate
un engagement. Un père, Martin, Président juste
et bonhomme (« A la maison blanche ») ;
un frère (Charlie) élevé au lait d’Oliver
Stone (« Platoon » « Wall
Street »). Emilio, lui, a trouvé son
messie : Robert Kennedy, dit RFK. Sous
couvert de décrire l’espoir qu’aurait porté
le Sénateur de l’Etat de New York, Estevez
n’y va pas par quatre chemins et ne livre
qu’un portrait fantasmé du cadet Kennedy.
Ce
5 juin 68, c’est un peu sa Pâques. Bobby gagne
et meurt, triomphe et s’écroule, s’écroule mais
triomphe via les destinées à jamais transformées
d’un panel d’Homo Americanus réuni
dans les travées de l’hôtel Ambassador –
hispaniques, noirs, wasp. Film choral, Bobby
suit à la trace grossièrement esquissée toute
une galerie de personnages sauvés in extremis. This
is the day, celui des miracles et de
l’amour, des records sportifs et de la réconciliation
des races, des premiers trips sous acide et du
mariage ; une sorte de love parade disséminée
qui tombe à pic pour faire sens.
Ultra-respectueux, super-religieux, Estevez
se refuse d’ailleurs à incarner Bobby himself.
Sa frêle silhouette n’apparaît qu’à
intervalles réguliers sur des images d’archives
savamment montées (préoccupations écologiques,
retrait du Vietnam : suivez son regard). Et
ceux qui en approchent dans la fiction (discours
final, collaborateur black enragé) en restent
subjugués, les yeux brillants et le corps
amoureux – ils relèvent de ce même registre
fascinés : Bobby, oui, serait le Christ.
Plus
naïf que malin, plus politique que cinéaste, Estevez
signe donc un film propagande qui use de la
fiction comme du vecteur explicite d’un
discours, ignorant ainsi la caractéristique de
base de tout grand film politique – tout grand
film tout court – qui veut que le discours obéisse
à la fiction et non l’inverse. Erreur majeure
qu’explique sans doute sa foi étalée en la
force collective du peuple, donnée comme seule
capable de résoudre les conflits, y compris
individuels.
Cet
emballage malsain (voir le générique final à la
gloire de la tribu Kennedy) est d’autant
plus regrettable qu’il annihile, dans un
moralisme larmoyant digne de P.T. Anderson,
les vrais bons moments du film, nichés – ce
n’est pas un hasard – dans des figures
solitaires et déclinantes : on pense en
particulier à cette scène inattendue où les
vieilles gloires cinquantenaires, Demi Moore
et Sharon Stone (mi-botox mi-ridées) s’épanchent
à l’écart des bruissements du monde. Cette
seule scène, trouée à deux pas de Sunset
Boulevard (qui s’y connaît en gloires oubliées),
vaut à elle seul le détour pour ce qu’elle
laisse entrevoir du temps qui passe. Au passage,
on aura aussi une pensée pour Marilyn Monroe,
cadavre sixties gisant à quelques mètres de là.
Christophe Malléjac
Film
américain (2006) – 1 H 52 – Sortie le 24
janvier 2007
Avec Anthony Hopkins, Sharon Stone, Christian Slater
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