cinéma

Bobby d’Emilio Estevez

[3.0]

 

 

Atavisme familial : chez les Sheen / Estevez, la politique est une religion, le parti démocrate un engagement. Un père, Martin, Président juste et bonhomme (« A la maison blanche ») ; un frère (Charlie) élevé au lait d’Oliver Stone (« Platoon » « Wall Street »). Emilio, lui, a trouvé son messie : Robert Kennedy, dit RFK. Sous couvert de décrire l’espoir qu’aurait porté le Sénateur de l’Etat de New York, Estevez n’y va pas par quatre chemins et ne livre qu’un portrait fantasmé du cadet Kennedy.

 

Ce 5 juin 68, c’est un peu sa Pâques. Bobby gagne et meurt, triomphe et s’écroule, s’écroule mais triomphe via les destinées à jamais transformées d’un panel d’Homo Americanus réuni dans les travées de l’hôtel Ambassador – hispaniques, noirs, wasp. Film choral, Bobby suit à la trace grossièrement esquissée toute une galerie de personnages sauvés in extremis. This is the day, celui des miracles et de l’amour, des records sportifs et de la réconciliation des races, des premiers trips sous acide et du mariage ; une sorte de love parade disséminée qui tombe à pic pour faire sens. Ultra-respectueux, super-religieux, Estevez se refuse d’ailleurs à incarner Bobby himself. Sa frêle silhouette n’apparaît qu’à intervalles réguliers sur des images d’archives savamment montées (préoccupations écologiques, retrait du Vietnam : suivez son regard). Et ceux qui en approchent dans la fiction (discours final, collaborateur black enragé) en restent subjugués, les yeux brillants et le corps amoureux – ils relèvent de ce même registre fascinés : Bobby, oui, serait le Christ.

 

Plus naïf que malin, plus politique que cinéaste, Estevez signe donc un film propagande qui use de la fiction comme du vecteur explicite d’un discours, ignorant ainsi la caractéristique de base de tout grand film politique – tout grand film tout court – qui veut que le discours obéisse à la fiction et non l’inverse. Erreur majeure qu’explique sans doute sa foi étalée en la force collective du peuple, donnée comme seule capable de résoudre les conflits, y compris individuels.

 

Cet emballage malsain (voir le générique final à la gloire de la tribu Kennedy) est d’autant plus regrettable qu’il annihile, dans un moralisme larmoyant digne de P.T. Anderson, les vrais bons moments du film, nichés – ce n’est pas un hasard – dans des figures solitaires et déclinantes : on pense en particulier à cette scène inattendue où les vieilles gloires cinquantenaires, Demi Moore et Sharon Stone (mi-botox mi-ridées) s’épanchent à l’écart des bruissements du monde. Cette seule scène, trouée à deux pas de Sunset Boulevard (qui s’y connaît en gloires oubliées), vaut à elle seul le détour pour ce qu’elle laisse entrevoir du temps qui passe. Au passage, on aura aussi une pensée pour Marilyn Monroe, cadavre sixties gisant à quelques mètres de là.

 

Christophe Malléjac 

Film américain (2006) – 1 H 52 – Sortie le 24 janvier 2007

Avec Anthony Hopkins, Sharon Stone, Christian Slater