Brodeuses
de Eléonore
Faucher 1/2
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Le plus réussi dans le premier film de cette jeune réalisatrice
française, c’est la capacité à nous émouvoir. A
nous procurer cette belle et véritable émotion qui
vous étreint soudain la gorge sans que vous compreniez
tout à fait pourquoi. Quand deux mains se frôlent en
signe d’apaisement et de pardon, quand une étole
devient un présent de remerciement ou encore quand deux
femmes se penchent sur un travail commun, alors le film
offre ses meilleurs moments.
Un
film en fait très paradoxal, qui ne facilite pas le
jugement : car a priori qualifié d’aimable et
d’abouti, Brodeuses à la réflexion et au
recul comporte bien des imperfections. Drôle de
qualificatif pour un film qui se veut justement parfait
dans sa forme léchée et un tantinet besogneuse qui
noie le spectateur sous un déluge de détails esthétiques
(voire esthétisants) qui surchargent inutilement une
histoire que l’auteur a pourtant voulu sobre, peu
bavarde et intemporelle. C’est presque étrange
aujourd’hui que quatre-vingt-dix minutes s’écoulent
sans que la sonnerie d’un portable ne résonne.
Claire est une jeune fille indépendante et rebelle, pas
décidée à se laisser faire. Lorsqu’elle apprend sa
grossesse, dont l’origine reste floue, elle décide de
ne pas garder l’enfant à l’issue de son
accouchement. Pour dissimuler son état à son entourage
et à sa famille, elle arrête son travail de caissière
au supermarché local. Elle profite de ce temps
disponible pour reprendre contact avec Madame Mélikian,
une brodeuse réputée, pour laquelle elle a déjà exécuté
de menues tâches il y a une année. Cette femme seule
et enfermée dans son récent chagrin – son fils est
mort suite à un accident de moto – accueille Claire
sans chaleur excessive. Réunies par une même passion :
celle de la broderie artisanale pour la haute couture,
les deux femmes s’apprivoisent. Entre celle qui refuse
d’être mère et celle qui doit accepter de ne plus
l’être, la complicité et l’amitié s’établissent,
d’autant plus facilement que Claire peu proche de sa mère
qui ne semble pas avoir remarqué son état, est en
recherche inconsciente d’aide et de conseil. Bien
vite, Madame Mélikian devient une mère de substitution
pour la jeune fille.
Alors
que l’image est un camaïeu impressionnant de couleurs
automnales, de bleus et de verts tendres, déclinées
aussi bien dans les paysages et les intérieurs que dans
les vêtements, les dialogues et l’expression des
actrices sont étrangement discrets, privilégiant la
portée d’un regard ou d’un geste. On est donc étonnés
que la sensible Eléonore Faucher n’ait pas opté
pour un traitement un peu moins exhibitionniste et
appliqué.
Ce
qu’elle a par contre très bien maîtrisé, c’est le
choix et l’utilisation de ses acteurs. Dans le rôle
de Claire, la débutante Lola Neymark est
remarquable : flamboyante et effrontée, elle
illumine le film de bout en bout. Ariane Ascaride
dans une sobriété inhabituelle et un jeu intériorisé
compose une Madame Mélikian à la fois fragile et
solide et parvient à tenir éloignée sa participation
envahissante dans le travail de Guédiguian.
Dans sa conception et sa facture, Brodeuses
renvoie aussi à un autre film récent : La
femme de Gilles, où là aussi le naturalisme était
à l’œuvre. En plaçant son histoire dans le monde
particulier, presque retranché, de l’artisanat, loin
de l’agitation et des bruits futiles de la ville, Eléonore
Faucher a fait de son premier long métrage un joli
écrin dans lequel l’amour du beau et du travail bien
fait peut aussi servir de passerelle entre des êtres en
difficulté passagère.
Brodeuses,
qui a reçu le Grand Prix de la Semaine de la Critique
au dernier festival de Cannes, est un film très féminin
par son histoire et son traitement, donc poétique,
sensible et émouvant. Indéniablement, sa réalisatrice
a un regard et un savoir-faire. Sans être un film
haute-couture, c’est de la belle ouvrage ciselée et
efficace mise au profit d’une histoire âpre et
profonde. Et après tout, c’est déjà pas si mal…
Patrick
Braganti
Français
– 1 h 28 – Sortie le 13 Octobre 2004
Avec
Lola Naymark, Ariane Ascaride, Thomas Laroppe
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