Broken
Flowers
de
Jim Jarmusch
[2.5]
|
|
|
|
En évoquant son personnage principal, le réalisateur Jim
Jarmusch avoue le peu de sympathie qu’il lui
inspire, l’appréciation n’étant apparue que sur la
longueur après une fréquentation plus assidue. A la
vision de Broken Flowers, on ne peut que lui
donner entièrement raison. Et encore, n’est-il pas
certain que nous spectateurs finissions par éprouver
quelque estime pour ce quinquagénaire mélancolique et
légèrement dépressif, maussade et somme toute assez détestable.
Soit
Don – Donnie pour ses ex – Johnston – avec un T
comme il doit sans cesse le souligner à ses
interlocuteurs, ce qui situe d’emblée le niveau des références
culturelles de ses compatriotes. Après avoir fait
fortune dans l’informatique, Don s’est retiré des
affaires, semblant passer le plus clair de son temps
assis dans son superbe canapé en cuir à s’amuser
avec son portable et sa télécommande. Le film démarre
sur le départ de Sherry, sa petite amie actuelle qui préfère
mettre les voiles devant cet homme buté et renfermé,
à la communication difficile. Parallèlement, Don reçoit
dans son courrier une belle enveloppe rose contenant une
lettre non signée et écrite en rouge chargée d’une
stupéfiante révélation. En effet, Don y apprend
qu’il a un fils de dix-neuf ans. Le petit ennui est
que Don a eu pas mal de petites amies et qu’il est
bien en peine de savoir quelle est la mère de cet
enfant et l’auteur de la lettre. Situation
rocambolesque qui émoustille Winston, le voisin éthiopien
et ami de Don, qui met sur pied un plan minutieux. Voilà
donc Don sillonnant le pays pour retrouver ses anciennes
conquêtes à qui il offre un magnifique bouquet de
fleurs roses.
La couleur rose est le gimmick et le fil
conducteur de ce road-movie nostalgique. Comme un signe
de reconnaissance initié par l’enveloppe elle-même,
Don guette les indices à chaque rencontre. Chez Laura,
le peignoir est rose et sa fille, la délurée Lolita,
porte de curieuses boucles d’oreilles roses en forme
de cœur. L’ex-hippie Dora reconvertie avec son crétin
de mari dans l’immobilier lucratif exhibe benoîtement
ses cartes de visites roses. L’avocate Carmen devenue
communicatrice animalière porte un sémillant pantalon
rose et Penny vivant au milieu de nulle part entourée
de bikers peu engageants porte des bottes roses et sa
moto a une selle du même coloris. Non pas facile pour
ce pauvre Don à retrouver son petit…
Mais
cette quête du fils inconnu est-elle vraiment la
motivation unique du célibataire flegmatique, déjà
revenu de tout ? N’est-elle pas plutôt le moyen
de se pencher sur son passé, de mesurer le temps révolu
et de confronter tout cela à sa morne existence
actuelle ? Le constat est désespéré, voire déprimant
et Don ne revient pas à la case départ en meilleure
forme sinon pollué par une paranoïa inquiétante qui
pourrait bien être sa nouvelle raison de vivre.
Les retrouvailles avec ses quatre ex sont autant
de vignettes qui apparentent Broken Flowers à un
film à sketches, genre rodé par Jarmusch dans Mystery
Train, Night on earth et Coffee and
cigarettes. Les quatre séquences nous entraînent
toujours plus loin dans la cruauté et la désillusion.
En même temps, elles dressent en filigrane un portrait
peu reluisant de l’Amérique avec ses phobies, son
mercantilisme et son mauvais goût.
Jarmusch
n’est pas tendre avec ses semblables, mais avouons
qu’ils l’ont bien cherché. Cette absence de réelle
empathie du cinéaste explique probablement sa
distanciation. Broken Flowers, qui certes bénéficie
d’une mise en scène maîtrisée et d’une interprétation
remarquable – même si des réserves peuvent être
formulées quant au jeu linéaire et sans surprises de Bill
Murray – est avant tout un petit film, abordant de
manière superficielle la question essentielle du
passage inexorable du temps. Un filmage buissonnier, une
bande-son sympathique – comme souvent chez Jarmusch
– et quelques traits d’humour décalé ne suffisent
pas à rendre tout à fait crédible le Grand Prix
obtenu au dernier festival de Cannes.
Patrick
Braganti
Film Américain
– 1 h 45 – Sortie le 7 Septembre 2005
Avec
Bill Murray, Sharon Stone, Jeffrey Wright, Jessica
Lange, Julie Delpy
>
Réagir
sur le forum cinéma
Plus+
www.brokenflowers-lefilm.com
|