cinéma

Bubble de Steven Soderbergh

[4.5]

 

 

Bubble est un film curieux et original à plus d’un titre, le rendant particulièrement intéressant. L’originalité tient tant à sa fabrication qu’à sa diffusion, mais provient aussi des multiples niveaux de lecture proposés, densifiant de manière inattendue un format court et resserré.

 

Cinéaste quadragénaire, Steven Soderbergh réussit le périlleux grand écart entre cinéma indépendant – principalement celui de ses débuts – et grosses productions hollywoodiennes avec casting de stars, néanmoins personnelles et acerbes. Après Ocean’s Twelve, le garçon doué renoue donc avec ce qui serait erroné de considérer comme un film « mineur ».

Pour Bubble, Soderbergh choisit de tout faire lui-même : le tournage en caméra numérique, la photographie et le montage. Délaissant les stars, il a recours à des acteurs non-professionnels, issus de la petite bourgade où se déroule Bubble. La singularité du film – le premier d’une série de six obéissant au même dispositif – se prolonge avec la simultanéité de sa sortie en salles, en DVD et en vidéo à la demande. Une volonté de la part de Soderbergh de lutter contre le piratage, une démarche qui paraîtra un tantinet prétentieuse – car sous-entendant une attente démesurée de la part des spectateurs. L’expérience peu concluante laisse penser que le cinéaste a sans doute eu les yeux plus gros que le ventre.

 

Une fois que l’on en sait davantage sur sa genèse et sa multiple retransmission, reste évidemment à estimer la valeur de Bubble. Le film nous conduit au fin fond de l’Ohio dans une triste bourgade grise et pluvieuse : Martha et Kyle y forment un duo étrange. Ils sont tous les deux employés à la fabrique locale de poupées ; Martha est une femme d’âge mûr, qui vit avec son père à moitié grabataire dont elle s’occupe avec abnégation. De son côté Kyle, qui pourrait être aussi bien son fils, vit avec sa propre mère au chômage. Chaque matin, Martha emmène Kyle en voiture à l’usine ; ils se retrouvent pour la pause déjeuner et le soir elle conduit le jeune homme à son second boulot. C’est une relation d’habitudes qui s’est installée entre ces deux-là : Martha s’est approprié l’existence de Kyle, timide et peu loquace, mal à l’aise en présence d’autres personnes. La routine est brisée par l’arrivée de Rose, jeune mère célibataire embauchée à la fabrique. En toute logique, Rose et Kyle s’attirent et Martha est réquisitionnée pour garder la petite Jesse le soir où les deux jeunes gens sortent se jeter quelques bières.

Avec la mise en place de l’insolite trio, on pourrait penser que Bubble vire à l’étude psychologique de caractères, disséquant au plus fin les frustrations et aspirations de chacun, démêlant l’écheveau des relations troubles et équivoques. Cette option est abandonnée lorsque que Rose est assassinée, transformant Bubble en polar intimiste.

 

Sur soixante-treize minutes, Soderbergh réussit à brouiller les pistes, tout en déconstruisant l’idée du mythe américain . Loin des côtes est et ouest, le centre rural du pays offre un paysage consternant : bungalows miséreux aux dimensions d’une caravane, travailleurs prêts à occuper deux emplois pour subvenir à leurs besoins, chômeurs et retraités végétant devant leur télé. Par contraste, il semble y avoir plus de vie dans les yeux et les expressions des poupées confectionnées par Martha et Kyle. Coincée entre son père et son travail, Martha transfère son affection sur Kyle, qui lui se tue à l’ouvrage et s’enferme dans sa pitoyable piaule pour y fumer.

Martha l’obèse, Kyle l’effacé facilement rougissant et Rose la déterminée et frondeuse composent un trio que le cinéma américain ne nous a pas beaucoup donné l’occasion de voir. Leur modestie et le naturalisme avec lequel le cinéaste les met en scène rappellent plutôt L’Humanité de Bruno Dumont, dans une moindre mesure les frères Dardenne.

Malgré une chute à l’imagerie rédemptrice appuyée, Bubble séduit par son formalisme novateur et prouve que le cinéma n’est pas qu’une question de moyens.

 

Patrick Braganti

 

Drame américain – 1 h 13 – Sortie le 10 Mai 2006

 

Avec Debbie Doebereiner, Dustin Ashley, Misty Wilkins