cinéma

Bug de William Friedkin

[3.5]

 

 

De ce côté-ci de l’Atlantique, bug désigne habituellement un plantage informatique, car la légende veut que les cafards – traduction du mot bug – réfugiés dans la chaleur des unités centrales provoquaient des dysfonctionnements sévères. Depuis, par extension, le terme s’emploie pour toute situation qui déraille, se dérègle. Le dernier film du réalisateur de L’Exorciste (1973, déjà…) ne pouvait rêver d’un titre aussi judicieux puisque, s’il y est question d’insectes et plus précisément d’aphides, c’est avant tout sur le parcours borderline, délirant, aux confins de la folie, de deux individus que William Friedkin se concentre.

 

Concentration, là encore, le terme est on ne peut plus adéquat : passé la mise en place qui permet la rencontre des deux personnages principaux et de circonscrire un territoire au milieu de nulle part, Bug ne quittera plus la chambre miteuse d’un motel perdu à la lisière du désert dans laquelle ils trouvent refuge et transforment en camp retranché. Agnès est une trentenaire déjà bien marquée par la vie ; mal remise de l’étrange disparition de son fils Llyod âgé de dix ans, travaillant comme barmaid dans un bar transformé en repaire de lesbiennes, elle angoisse de la prochaine sortie de prison de son ex-mari, brute épaisse et sex-symbol de pacotille. Un soir, une bonne copine la met en relation avec Peter, un homme étrange, timide et très poli, qui confesse ne plus avoir eu de rapport sexuel depuis des années. L’alcool, la solitude et la peur aidant, Agnès offre l’hébergement à Peter, mais la relation ébauchée vire rapidement au cauchemar quand celui-ci se persuade qu’il a servi de cobaye comme ancien Marine de la guerre du Golfe et que son sang est contaminé par des insectes microscopiques qui le plongent dans des états d’extrême souffrance.

 

La notion de contamination et avec elle son corollaire : la désagrégation progressive d’une personne, d’un groupe puis d’une nation par ricochet, imprègne toute l’œuvre de l’ancienne gloire des années 70, pareillement taraudée par la coexistence chez chaque individu du Bien et du Mal et la lutte incessante qui s’ensuit pour faire triompher l’un et reculer l’autre. L’incapacité à tracer une frontière même ténue entre les deux pôles entraîne inexorablement la perte de repères et un comportement délirant, voire schizophrénique et paranoïaque. En ce sens, Peter est un parano de génie, parce que sa conviction viscérale d’avoir été infecté par un virus finit par faire de lui un être hors du commun, que la paumée Agnès, en manque d’amour, est prête à suivre, et même à précéder, dans ses délires hallucinatoires.

Le passage de la bluette initiale, même si elle s’inscrit dans un univers glauque et passablement bouché, à un véritable retranchement qui s’accompagne de l’exclusion de tout autre personnage et voit la chambre transformée en bunker bleuté tapissé de papier alu constitue la grande force de Bug, qui pousse la sobriété à ne jamais montrer la moindre punaise. Bien sûr, dans le repli sur soi et la paranoïa irréfléchie et contagieuse de Peter, il n’est pas difficile de voir la parabole évidente sur l’état général de la première puissance mondiale, sclérosée depuis le 11 Septembre 2001 par la peur de l’autre, imaginant les complots les plus fantaisistes et développant les théories les plus fumeuses.

 

La dimension politique de Bug, d’ailleurs extrêmement simple et lisible, n’est pas sa meilleure part. Le film est autrement plus emballant lorsqu’il travaille sur le rétrécissement – dont la dernière étape ne saurait être que l’effacement – d’un espace tant physique que mental. Grâce au jeu proprement habité de Ashley Judd et Michael Shannon, dans un crescendo absolument démentiel, Bug adapté d’une pièce de théâtre procure des frissons d’extase et d’effroi. Ce qui n’est pas sa moindre qualité.

 

Patrick Braganti

 

Thriller américain – 1 h 40 – Sortie le 21 Février 2007

Avec Ashley Judd, Michael Shannon, Lynn Collins, Harry Connick Jr