Il
serait facile pour évoquer le dernier film de Claire
Simon de convoquer tout le vocabulaire ayant
rapport au feu, parler ainsi d’un embrasement
des sens, d’une passion inexorable et unilatérale,
destinée à se consumer au propre comme au figuré.
Facile, et réducteur surtout, pour une œuvre
incandescente et sensorielle qui nous propulse au
cœur de la vie de Livia, adolescente de quinze
ans, dans un village provençal défiguré par les
pavillons modernes sans âme où rôtissent des
occupants languides sous un soleil de plomb qui
assèche et attise.
Vivant
avec sa mère – qui s’évertue à parler en
anglais pour des motifs inexpliqués – et la
copine de celle-ci, Livia passe son temps à
s’occuper de son cheval ET qu’elle bichonne
avec application et tendresse, sur lequel elle se
promène dans la campagne comme dans le village,
fière et indépendante amazone. De sa position
dominante, elle scrute les alentours avec morgue
et colère. Car Livia est une jeune fille en colère,
en rage contre sa mère qui n’y connaît rien
aux chevaux, son père absent et la société en général.
Suite
à une chute de cheval, elle est secourue par Jean
Susini, pompier à la caserne locale. Pour Livia,
c’est le coup de foudre, la passion qui s’abat
sur elle, l’amène à sans cesse rechercher la
présence de Jean et à commettre l’irréparable :
provoquer un incendie dévastateur et meurtrier.
Le titre annonce d’emblée la couleur et l’évolution
de l’histoire est si évidente qu’on en dévoile
l’issue sans gêne car les qualités de Ca brûle
ne résident pas dans sa trame. Ou pas seulement.
Ce
qui intéresse Claire Simon, dont le passé
de documentariste resurgit dans la dernière
partie du film, c’est comment une jeune fille
bouleversée par une passion amoureuse naissante
et sans retour – le sobre Jean n’exprime au
mieux qu’une sollicitude amicale pour Livia
qu’il a secourue – et habitée d’une fureur
solitaire en vient à déclencher une catastrophe,
comme mode d’expression. « Une espèce
de terrorisme à usage individuel »
comme qualifie elle-même la cinéaste l’acte de
Livia.
Claire
Simon appréhende avec la distance suffisante
et le regard exacerbé, jamais naïf ni
complaisant, le monde étrange de l’adolescence,
le fameux âge des possibles : celui où garçons
et filles se jaugent et s’affrontent comme de
jeunes animaux dans l’objectif d’essayer, d’épuiser
les possibles et pas forcément de construire.
Livia sur sa monture, ce qui la singularise et
provoque l’agressivité envieuse des garçons,
juchés sur leur scooter pétaradant, se coltine
avec ceux-ci dans des jeux violents (rodéo cheval
contre scooter ), ou initiatiques (apprendre à
embrasser).
Plutôt
revêche et peu facile d’accès, Livia ne
suscite aucune sympathie excessive de la part du
spectateur. De son côté, Jean reste neutre, à
la fois lointain et présent. On est parfois crispés,
énervés par les partis pris de mise en scène
(gros plans sur les visages, mobilité de la caméra)
et pourtant l’alchimie a lieu, sans doute parce
que le déclenchement et l’extension du feu ont
quelque chose de fascinant, d’attirant et
d’angoissant. L’utilisation de tons orange et
rouge, le filmage dans une fumée cotonneuse et
absorbante confèrent à Ca brûle une
dimension réaliste et onirique.
Parfois
exaspérant, cédant à quelques tics de
fabrication, Ca brûle n’en reste pas
moins un film viscéral et organique, habillé
d’une bande-son magnifique. Une expérience de
cinéma, tout simplement, qui se rapproche
d’ailleurs du dernier film d’une autre Claire :
Denis pour L’Intrus.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 51 – Sortie 16 Août 2006
Avec
Camille Varenne, Gilbert Melki, Kader Mohamed
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