cinéma

Truman Capote de Bennett Miller

[3.0]

 

 

Au milieu des années 60, la parution de In Cold Blood fait de Truman Capote, déjà auteur reconnu de Petit Déjeuner chez Tiffany (1958), l’écrivain le plus populaire de son pays et le propulse au sommet de la gloire. Une gloire paradoxale et destructrice, car plus jamais Capote ne parviendra à finir un ouvrage, sombrant progressivement dans la drogue et l’alcool qui provoqueront sa mort en 1984 à l’aube de ses soixante ans.

 

Outre son indéniable qualité d’écriture, De sang-froid invente une forme littéraire, celle du roman-document qui, à partir d’un fait réel et d’une enquête approfondie et objective, produit un récit combinant la démarche journalistique aux techniques narratives de la fiction. C’est en lisant dans le New York Times le compte-rendu d’un tragique fait divers au fin fond du Kansas en Novembre 1959 que Capote a l’intuition géniale de la possible utilisation de ce matériau brut. L’observateur mondain et cruel qui fait les belles heures des soirées du Tout Manhattan, folle tordue assumée et commençant à être marquée par l’absorption massive de martini dry, se rend en compagnie de sa meilleure amie sur le lieu du crime.

C’est le choc de deux mondes : celui des ploucs méfiants et celui du raffinement artistique. L’investigation menée par Capote se concentre sur un des deux tueurs : Perry Smith avec lequel se noue une relation complexe. Là où Perry pense avoir trouvé un ami prêt à tout pour lui éviter la mort (recherche des meilleurs avocats et révélation de son témoignage), il n’y a en fait de la part de l’écrivain que duplicité et tricherie, servant à obtenir du prisonnier conquis et vampirisé des détails et des aveux devant nourrir le corps du futur livre. Ce qui d’emblée ne rend pas sympathique Capote, narcissique et égocentrique, fin stratège, capable de confier des bribes de sa propre existence pour tisser des liens avec Perry. Dans le temps de cette longue enquête, plus de cinq années, qui alterne les visites à l’austère prison et l’escapade espagnole de Capote où il met en forme son projet, il est difficile d’adhérer à la démarche opportuniste et dénuée d’humanité de l’écrivain. Du moins en apparence, car le monstrueux travail de Capote dont l’issue est sans cesse différée par les appels des deux tueurs qui repoussent leur pendaison, tuera son inspiration et marquera le début de son déclin. Comme s’il lui était devenu impossible de repartir dans la pure fiction et de sublimer cette étrange expérience.

 

Le film est principalement construit sur la relation Capote/Smith. L’écrivain, sans doute séduit, voire amouraché de Perry, voit aussi en lui son double malheureux. Reliés par un parcours commun marqué par l’abandon et la déshérence, les deux hommes ne sont au final que les deux faces d’une même pièce, ou les deux résidents d’une même maison, dont l’un (Capote) sortirait par le devant (au grand jour et célébré) et l’autre (Smith) par l’arrière (clandestin et coupable).

C’est cette complexification qui rend Truman Capote intéressant. Néanmoins le film dans son souci affiché de perfection finit par amoindrir la portée de son argument. Et on serait tentés de le réduire à une performance d’acteur, Philip Seymour Hoffman – récemment récompensé d’un Oscar – ce qui pour le coup serait une double méprise. D’abord le film est bien autre chose, en s’interrogeant sur la création littéraire notamment et la confrontation réel/fiction. Ensuite, il n’est pas certain qu’il faille porter aux nues la composition de l’acteur, qui travaille ici davantage sur l’imitation que sur l’appropriation (Bouquet/Mitterrand et Phoenix/Cash comme les meilleurs exemples récents) et la cantonne au numéro d’un singe savant.

 

En fait, Truman Capote n’est qu’une tranche de la biographie de l’écrivain, certes la plus déterminante. Le film aurait sans doute gagné en intensité à rajouter la dernière, celle des ravages et de la décrépitude, non dans un dessein malsain et voyeuriste, plutôt dans une froide décortication de l’impact lamineur du succès.

 

Patrick Braganti

 

Drame américain – 1 h 50 – Sortie le 8 Mars 2006

Avec Philip Seymour Hoffman, Catherine Keener, Clifton Collins Jr...

 

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www.capote-lefilm.com