Clean
de Olivier Assayas
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En y regardant d’un peu plus près, l’histoire de Clean
ne tient pas à grand-chose et pourrait sembler résumée
sur le papier infiniment banale et d’un attrait
relatif. En effet, après tout, rien de bien révolutionnaire
dans le parcours certes louable d’Emily musicienne
veuve et déchue, qui pour pouvoir récupérer son petit
garçon devra tourner le dos à sa vie d’antan marquée
par la prise frénétique de drogues. Autrement dit,
devenir clean. La lutte pour une vie meilleure
fortement teintée de rédemption et d’abnégation a
toujours donné des films forts, et Emily est quelque
part une cousine pas si lointaine de Selma (Bjork
dans Dancer in the dark) qui se tuait à la tâche
afin de réunir l’argent nécessaire à l’opération
de son fils en train de devenir aveugle.
Alors oui bien sûr Clean est un film
bouleversant, illuminé de bout en bout par la présence
de Maggie Cheung, toujours crédible et envoûtante
dans son jeu très épuré, presque retenu et qui
pourtant fait passer un maximum d’émotions.
L’obtention du Prix d’interprétation au dernier
festival de Cannes allait de soi, tant Maggie Cheung
crève et irradie l’écran. Néanmoins, au chapitre du
casting, il serait injuste de ne pas citer Nick Nolte
en beau-père d’Emily, protecteur et infiniment humain
qui l’entoure de sa présence bourrue et la conseille
de sa voix caverneuse. Dans deux seconds rôles, Jeanne
Balibar et Béatrice Dalle apportent leur
touche personnelle : la première en quelques
minutes campe avec brio une directrice des programmes
gouine, carnassière et infantile ; la seconde la
bonne copine d’Emily, nous prouvant au passage que dégagée
d’une réputation sulfureuse et de quelques tics agaçants,
Dalle vieillit bien.
En s’arrêtant d’abord sur le scénario bien
construit et une distribution parfaite, on ne rend ici
compte que partiellement de l’intérêt du film.
Certes ces caractéristiques-là suffisent généralement
à faire un bon film. Mais Clean n’est surtout
pas que cela.
C’est
un film majeur et décisif dans le paysage cinématographique
actuel par les passerelles qu’il tend entre plusieurs
continents et différentes cultures, esquissant un
brillant aperçu de ce que pourrait être le cinéma de
demain, mettant en présence le savoir-faire américain
et l’esprit européen. A elle seule, Maggie Cheung
qui s’exprime en anglais, français et hong kongais
symbolise ce cinéma visionnaire.
Commencé
à Hamilton au Canada, au milieu de friches
industrielles peu sympathiques, Clean se poursuit
à Vancouver pour ensuite traverser l’Atlantique et se
poser conjointement à Paris et Londres, avant de faire
un crochet final à San Francisco. La géographie ainsi
éparpillée engendre une multiplicité de lieux et de
personnages, gravitant essentiellement dans le domaine
de la musique. Dans sa captation des concerts et des
lieux, dans sa perception du milieu musical (concerts, négociations
de contrats, pouvoir des gens de marketing), Olivier
Assayas, qui se paie le culot de s’offrir en
guest-star Tricky, ne commet aucun faux pas.
C’est évident : ce cinéaste sait de quoi il
parle, et tous les trentenaires – et même plus –
tant soit peu passionnés par le rock et ses références
vont se sentir en terrain connu en voyant Clean.
La mise en scène – dont on s’interroge qu’elle
n’ait pas été récompensée à Cannes – est énergique
et toujours adéquate en ne recourant pas plus que nécessaire
au filmage caméra à l’épaule et en privilégiant
les plans rapprochés.
Emily
est une figure de proue centrale, une héroïne des
temps modernes qui jamais ne s’apitoie durablement sur
son sort et veut se battre. L’émotion qui nimbe le
film n’est donc pas le résultat d’un pathos appuyé
et facile.
Après
Demonlover, thriller complexe et déconcertant
dans le monde des mangas et du porno, Olivier Assayas
parvient à une maturité splendide en nous offrant ce
superbe film, simple et bouleversant, moderne et
universel. Une réussite incontestable.
Patrick
Braganti
Français
– 1 h 50 – Sortie le 1er Septembre 2004
Avec
Maggie Cheung, Nick Nolte, Jeanne Balibar, Béatrice
Dalle
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