Une
première évidence saute aux yeux : ce film
turc est d’abord asiatique, résonnant profondément
avec le cinéma d’Hou Hsiao Hsien,
notamment dans la capture progressive de
l’exercice des sentiments. Ces plans fixes, la déstructuration
légère qu’ils imposent au regard confortable,
leur façon unique d’ouvrir l’écran à la
matière – son pointilleux, gestuelle précise,
éléments naturels, silence et musique acteurs.
Tout cela, hors question géographique, vient
d’Asie. De quoi contenter, en somme, les tenants
d’une Europe sans Turquie. Sauf que…
…
sauf que le discours – soit la mise en forme
d’une pensée – véhiculé ici rejoint aussi
de façon éclatante celui dégoupillé par
l’intelligence lumineuse de Pascal le chrétien,
en particulier les fameux fragments sur les deux
dimensions – infiniment petit et infiniment
grand – dont Les Climats offre une
illustration saisissante via le récit du délitement
d’un couple – Isa et Bahar - répondant au
classique paramétrage de l’ennui au mépris (Moravia
plane souvent). Ce jeu du « Je t’aime moi
non plus » reste essentiel et accessoire,
point fixe autour duquel tout le film s’enroule
et d’où il se détache par échappées répétées
sur l’espace intime et extérieur.
Extérieure :
la nature volumineuse, presque démesurée, dont Nuri
Bilge Ceylan accepte la domination précisément
dans les actes I (crise) et III (retrouvailles),
n’est jamais vraiment mise en scène au sens
classique du terme mais simplement cadrée / décadrée
dans son omniprésente évidence. Des climats intimes
comme des saisons : un violent chaos ballotte
Isa et Bahar de l’intérieur. Pas mieux :
le coup d’œil insistant de Ceylan livre,
de l’exercice périlleux des sentiments, une
architecture anarchique et complexe. Tout y est
contradiction, duperie, mensonge et lâcheté et,
dans un même geste, offrande, amour, honnêteté,
courage.
Trait
d’union par-delà les continents, donc, l’état
des lieux reste invariable : poids plume dans
le vaste univers, poids plume dans la marée des
sentiments. Pascal : « Qu’est-ce
qu’un homme dans la nature ? Un néant à
l’égard de l’infini, un tout à l’égard du
néant, un milieu entre rien et tout, infiniment
éloigné de comprendre les extrêmes. La fin des
choses et leurs principes sont pour lui
invariablement cachés dans un secret impénétrable ».
La situation médiane et bizarre de
l’humain en fait sa singularité, indéniable
bloc de solitude (Pascal encore :
« Le silence éternel de ces espaces
infinis m’effraie ») qui pourtant éprouve,
vit, ressent.
Et si la foi de Pascal parvient in fine à
retourner le pessimisme radical dont Les
Climats se laisse envahir, la jonction des
visions opère en creux, dans le constat partagé
de l’incompréhensible. Ainsi, balayant
naturellement toutes les frontières terrestres
(Asie Vs Occident), cette communion de pensée
dessine l’incontestable universalité de
l’humain d’Istanbul, de Paris ou de Londres.
Christophe Malléjac
Film
franco-turc (2005) – 1 H 37 – Sortie le 17
janvier 2007
Avec
Ebru Ceylan, Nuri Bilge Ceylan, Nazan Kesal
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