Voici
treize ans, Alain Resnais adaptait pour la
première fois une pièce du dramaturge anglais Alain
Ayckbourn : Smoking – No Smoking,
soit deux films, onze rôles joués par deux
interprètes (Sabine Azéma et Pierre
Arditi, déjà) pour de multiples variations
sur le destin construites sur l’alternative de
fumer ou de ne point fumer. A l’époque, le
dispositif mis en place – théâtre filmé,
artifice des décors en carton pâte – avait
suscité un engouement légitime. L’honorable
estime dont profite un des plus anciens réalisateurs
français, qui signa en 1956 le documentaire Nuit
et brouillard, réflexion historique et
philosophique sur la Shoah et les camps, ne
s’est pas démentie à la suite de Smoking
– No Smoking. Le truculent et enchanteur On
connaît la chanson, qui bénéficia de l’écriture
de Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, fins
observateurs des maux de la société moderne,
nous ravit tout autant, la tête pleine des mélodies
exhumées par le cinéaste. Et l’adaptation
d’une opérette vieillotte Pas sur la bouche,
pleine de rythme et de bonne humeur, aussitôt vue
aussitôt oubliée, passa comme une lettre à la
poste.
Pour
Pour
tout dire, Il y a bien longtemps que l’on
n’avait pas vu un Resnais de ce niveau-là.
Sans doute depuis le splendide Smoking/No
Smoking, films eux aussi adaptés d’une pièce
de théâtre de l'auteur anglais Alan Ayckbourn.
Tiens, tiens…
Ce
film (chorale) met en scène les acteurs fétiches
de Resnais avec en plus Isabelle Carré,
belle comme un... cœur et éblouissante (comme
dans la plupart des films où elle joue
habituellement) et Claude Rich en
hors-champ dans un univers urbain, en hiver,
dont on sait peu de choses sauf que l’action se
situe dans le 13ème, pas très loin de la grande
bibliothèque et que "c'est un quartier très
recherché" (Dussolier dans le texte).
Et
c’est ainsi que l’on découvre des personnages
qui se croisent, se rencontrent, se cherchent dans des intérieurs
magnifiquement éclairés et filmés : Un bar
d’hôtel magnifiquement kitch, des appartements vides, une
petite agence
immobilière… des endroits très ordinaires mais
transcendés par le filmage de Resnais.
Avec
pour thèmes : la difficulté de communiquer, les
petits secrets de l’âme (son côté mystique),
ou la mort qui sont exprimés à l'écran avec une
élégance rare et une éblouissante maîtrise,
que ce soit dans la mise en scène (ah cette neige,
ces visages, et cette lumière !), les dialogues pétillants
jamais trop bavards ou le jeu des acteurs à
la fois juste et réglé comme du papier à
musique.
Et
tout cela donne un film magique : à la fois
drôle et mélancolique, porté on l'a dit et on
le redit par une poignée d’acteurs impeccables.
Le genre de film qui vous donne envie de rester
dans la salle après le générique,
histoire de profiter encore un peu de cette ambiance
floconneuse qui vous a enveloppé pendant deux belles
heures. Assurément
un des grands films de l'année 2006.
Benoît
Richard
Contre
En
ressortant des cartons une autre pièce de Ayckbourn,
transposée ce coup-ci en France – le quartier
de Bercy et de la Grande Bibliothèque en pleine
mutation -, en s’entourant de la même équipe
de comédiens à laquelle est venue se greffer la
délicieuse Isabelle Carré, on arrivait en
terrain connu, à peu près sûrs de passer un bon
moment orchestré avec classe et subtilité.
Eh
bien, autant le dire de suite, la déception est
à la hauteur de l’attente : Cœurs
n’a jamais fait battre le nôtre. Les sept
personnages autour desquels s’articule le film
ont en commun une solitude plus ou moins supportée.
Si Dan et Nicole sont en couple et à la recherche
d’un appartement plus grand, on s’aperçoit très
vite que les fissures sont nombreuses, Nicole
supportant très mal l’oisiveté alcoolisée de
Dan, ex-militaire viré de l’armée. Thierry
l’agent immobilier qu’ils ont chargé de leur
trouver la perle rare vit avec sa jeune sœur Gaëlle,
qui sort tous les soirs pour rencontrer l’âme sœur.
Charlotte, la collègue de Thierry, est une bigote
qui pousse l’engagement à aller s’occuper,
après sa journée à l’agence, d’Arthur, un
vieillard acariâtre et libidineux, père de
Lionel, le barman discret et effacé d’un grand
hôtel où Dan passe le plus clair de son temps.
On
l’aura compris : des fils ténus, dont seul
le spectateur est en mesure de tisser la toile
complète, relient les ultra modernes solitaires
de Cœurs. Mais, au contraire de la fête
finale de On connaît la chanson qui réunissait
tous les protagonistes, il n’y a pas d’ici
d’issue heureuse. Nicole et Dan se sont séparés
pour donner une improbable seconde chance à leur
couple. Thierry, émoustillé par les cassettes
surprenantes prêtées par la prude Charlotte,
devient un voyeur lubrique, amoureux transi, juste
bon à provoquer le courroux de Gaëlle qui le
prend pour un vieil obsédé sexuel se tripotant
en solitaire devant sa télé ; Gaëlle très
vite échaudée par son histoire ébauchée avec
Dan.
Après
le mélange singulier de légèreté et de gravité
qui présidait aux films récents de Alain
Resnais, Cœurs abandonne toute vision
optimiste. Resnais nous livre un de ses
films les plus noirs, et ne semble plus nourrir
aucune illusion sur le sort et la nature de ses
congénères. Une telle noirceur peut sans doute
trouver ses origines dans le passage du temps et
la proximité de la mort et elle n’est en rien répréhensible.
Notre déception provient donc de la forme de Cœurs
et de la platitude convenue confiant à la
ringardise absolue des personnages (Dussollier
vantant les mérites du magnétoscope en 2006,
c’est franchement ridicule) . On a beaucoup glosé
sur la neige qui tombe pendant tout le film et qui
scande les enchaînements entre toutes les scènes
ou plutôt les tableaux. Symbole du
refroidissement des rapports humains qui flirte le
plus souvent avec l’incommunicabilité et métaphore
assez facile du froid de la mort. L’utilisation
conceptuelle d’une poudreuse tombant sans arrêt
et avec régularité, à force de répétition qui
vire au gimmick finit par lasser, tout comme une
image floue installant à dessein une ambiance
cotonneuse et soporifique. Hormis la prestation de
Pierre Arditi, les autres comédiens ont
l’air de ne pas trop y croire, se débattant
avec des dialogues signés Jean-Michel Ribes
plats et récités.
Donc,
un magnifique plantage qui frise l’ennui, ne
nous arrache guère de sourires et nous laisse de
marbre.
Patrick
Braganti
Drame
français – 2 h 05 – Sortie le 22 Novembre
2006
Avec
Pierre Arditi, André Dussollier, Lambert Wilson,
Sabine Azéma, Isabelle Carré, Laura Morante, et
la voix de Claude Rich...
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