cinéma

Collision de Paul Haggis 

[2.5]

 

 

    « J’ai toujours eu l’esprit de contradiction dit Paul Haggis avec cette humilité caractéristique des gens de cinéma : quand les producteurs de cinéma ont commencé à faire la transition du cinéma à la télévision, j’ai pris le chemin inverse » (1). Analyse à la pertinence toute relative évidemment quand l’on sait que c’est à la télévision précisément – et sur les grands networks aussi bien que sur le câble – que se produisent aujourd’hui les œuvres hollywoodiennes les plus innovantes tant sur le plan formel qu’au regard des sujets traités (avec une réactivité quasi live). Une audace sans équivalents probants dans un cinéma américain contemporain sur le déclin, ressassant ses gimmicks commodes entre auteurs vieillissants (Burton, Coen bros.) et petits génies publi-maniaques, hérauts de la poudre aux yeux (liste interminable). Franchir le pas de l’un vers l’autre n’a rien d’anodin ; de la télévision vers le cinéma, cela recouvre un double mouvement à la fois récupérateur (cinéma) et de reconnaissance officielle (néo-cinéastes). Question : quelle valeur accordée à ces nouveaux players fraîchement adoubés ?

 

    Dans le meilleur des mondes possibles, un véritable reformatage du cinéma opérerait à la faveur de ces transferts à grands frais. Ou comment certaines spécificités relevant du strict domaine de la fiction télévisée s’adapteraient, sans transcription littérale (impossible évidemment), au cadre forcément plus rigide – mais qui ne demande qu’à s’assouplir – d’un long métrage de deux heures [On attend par exemple avec impatience - et beaucoup de craintes - les débuts fanfarons du prodige JJ Abrams (Alias, Lost) aux commandes (c’est un mot : sous la supervisation-censure de Tom Cruise en fait) de Mission : Impossible III].

 

    A cet égard, le cas Haggis est intéressant. Couronné par une presse paresseuse pressée de se gorger d’esbroufe, le voici propulsé cinéaste-auteur, artiste à l’européenne. Ce qui flashe ? Tout ce qui, au fond, relève d’abord d’une influence télévisée marquée : un maelström de personnages se croisant aux hasards d’accidents, d’accrochages, de rencontres et de situations où le racisme – grand thème non pas central mais obsessionnel – s’exprime, se justifie puis se comprend, se regrette in fine. Influence télévisée ? La sociologie appliquée à la fiction (dans un climax los angelien ultra violent, The Shield  ne fait pas autre chose), le savant et virtuose mélange d’une infinité de lignes narratives creusées, le cadrage efficace. Autant d’intentions pourtant plombées ici par une inadaptation flagrante aux règles basiques sur lesquelles fonctionnent le cinéma. Collision est un sujet de société illustré par quelques historiettes pleines de passion, de bruit et de fureur, mais parfaitement aseptisées par un cadrage sans génie, une infinité de lignes narratives superficielles, une sociologie au marteau piqueur. Trop de mots : blabla incessant venant souligner et un et deux et trois fois ce que l’image n’arrête pas d’encadrer, avec le secours en prime d’une musique alternant psaumes en toc et variété bidon.

 

    Du point de vue du cinéma pur, on voit vite où – malin – Paul Haggis voulait en venir : la grande tradition du film choral, tendance Californie, sonne à la porte ; c’est l’inégale cavalerie comme il faut des cinéastes sur le bord de l’évier, ici et là, cérémonie des oscars et festival de Sundance : l’imposant Robert Altman suivi de ses minets maladroits – Paul Thomas Anderson, Alejandro Gonzalez Inarritu. Los Angeles, cité de la grande solitude (Tom Cruise, encore lui, en faisait son mal-être dans Collateral) où la bourgeoisie la plus vulgaire côtoie sans la croiser la pauvreté et la violence criminelle, où les origines raciales se mêlent sans se confondre - hispaniques, blacks, blancs, arabes, iraniens, indiens - où seules, donc, des collisions inattendues sauraient ouvrir des brèches vers une meilleure compréhension.

 

    Ces grands sentiments à coups d’arrosoir lacrymal font l’affaire des génies sans fond : voir comment le susnommé P.T. Anderson jouait de la rédemption dans son Magnolia sur-côté. Sauf qu’à force de tirer sur la corde de la bonté humaine, elle finit par s’effriter et ne plus adhérer. Le monde selon Haggis n’a de blanc et noir que les peaux des passants. Sinon, une uniformisation entre-deux, disons grise, fournit la masse concrète. Du racisme ? Oui, mais relevant au fond d’un malentendu cas par cas aisément rattrapable. Des armes à feu pour tirer sur les petites filles ? Oui, mais armées à blanc (décidément). Un auto-stoppeur (noir) paraît menaçant ? Oui mais il n’avait pas d’arme : une statuette de Saint-Christophe, plutôt. Grisaille bouillie où l’humanité noie sa face obscure comme on tranche un litige, pas plus compliqué que ça.

 

    Reste que pour le cinéma (industrie ou art), le cas Haggis n’est pas une bonne nouvelle. Degré zéro du renouveau et pensée molle, il échoue à figurer autre chose que sa propre vanité, s’éloignant à des années-lumière du cynisme lucide du Short Cuts d’un Altman rusé.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain – 1 H 47 – Sortie : 14 septembre 200

Avec Don Cheadle, Matt Dillon, Sandra Bullock

(1) Les Inrockuptibles. N°511. Du 14 au 20 septembre 2005.

 

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