L’association
sous forme d’oxymore entre la fête – moment
de joie et de bonheur – et la fin du monde que
l’on envisage rarement de gaieté de cœur a
tout pour retenir l’attention et séduire. Quand
on sait de surcroît que Comment j’ai fêté
la fin du monde nous vient en droite ligne de
Roumanie, pays qui mêle le fatalisme résigné
des pays de l’Est à la truculence latine dans
l’usage d’un humour toujours féroce et noir,
on est encore plus excités par le projet. Et
heureusement, la déception n’est pas au
rendez-vous.
En
1989, la Roumanie vit les derniers instants du régime
dictatorial de Ceausescu dans un dénuement extrême
et une répression ininterrompue contre les
opposants à la politique centralisée qui plonge
le pays dans les affres et les difficultés économiques.
Comme tant d’autres, la famille de Eva, dix-sept
ans, fait contre mauvaise fortune bon cœur en
tentant de survivre. Eva, très joli brin de fille
aux lèvres pulpeuses et au regard sombre trop
rarement rieur, partage son temps entre l’école
et son petit frère Lalalilu, garçonnet de sept
ans aussi espiègle que son prénom peut le
laisser supposer. Courtisée par Andréi, le fils
du flic tout-puissant dont il faut ménager les
susceptibilités et solliciter la bienveillance,
Eva est plus attirée par un grand échalas dégingandé
qui nourrit le secret espoir de s’enfuir du pays
en traversant les eaux sombres et glacées du
Danube, en emmenant avec lui la jolie jeune fille.
Mais Lalalilu n’a pas très envie que sa sœur,
qui fait aussi office de mère tant la vraie est
effacée et soumise, s’en aille et fomente avec
ses deux copains le projet de tuer Ceausescu lors
de sa prochaine visite afin de libérer la
Roumanie du joug de son dictateur et du même coup
rendre inutile l’escapade des deux adolescents.
Comment
j’ai fêté la fin du monde se présente
comme une lecture personnelle de l’histoire récente
roumaine par laquelle Catalin Milescu,
ancien étudiant en géologie à Bucarest,
revisite ses propres souvenirs et témoigne de sa
nostalgie paradoxale d’une époque pourtant
difficile. Malgré le soin apporté à
reconstituer une période à la fois proche dans
le temps et lointaine dans son environnement et
ses modes, le film n’a pas valeur de
documentaire.
On
est assez effarés de constater la terreur que les
autorités faisaient régner, la délation omniprésente
et la peur de ses voisins comme corollaire direct.
A l’école, les élèves apprennent l’hymne
national, doivent travailler et rendre hommage à
leur dirigeant despote. A la maison, il faut
inviter le flic pour obtenir ses bonnes grâces et
ne pas faire cas du grand-père râleur.
Même
si on éprouve parfois des difficultés à suivre
l’itinéraire de tous les personnages et les
liens amicaux ou familiaux qui les unissent, on
est en revanche conquis par l’esprit de liberté
et de douce folie qui règne sur le film. Dorotheea
Petre a justement reçu le prix de la
meilleure actrice dans la dernière sélection
cannoise d’Un Certain Regard et il aurait
été tout aussi normal de récompenser Timotei
Duma, qui campe un gamin attachant, roublard
et plein de ressources.
Il
y a donc vraiment du plaisir simple et sans prétentions
à aller voir Comment j’ai fêté la fin du
monde, petite tragi-comédie nostalgique et
sensible, habitée par l’âme roumaine qui, en dépit
de tous ses maux, n’a jamais oublié son
optimisme et son humour salvateur.
Patrick
Braganti
Drame
roumain – 1 h 46 – Sortie le 30 Août 2006
Avec
Dorotheea Petre, Timotei Duma, Marius Stan
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