Le
crime farpait
de Alex de la Iglesia
[4.0]
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Il est plutôt surprenant que Le Crime Farpait
ait remporté le grand prix du festival de Cognac car il
n’est pas à proprement parlé un polar, malgré le
crime du titre. Le film a plus à voir avec une comédie
noire, genre fétiche de Alex de la Iglesia, qui
signe là son cinquième opus.
Le
protégé de Pedro Almodovar qui a touché à pas mal de
métiers comme dessinateur de bandes dessinées, décorateur
ou directeur artistique, avoue que c’est l’envie de
raconter l’histoire d’un homme dont la vie
professionnelle et privée prendraient place dans un
centre commercial qui est à l’origine de son film.
Rafael
(Guillermo Toledo, espèce de Jean-Pierre
Marielle plus jeune et moins classe) règne en maître
au rayon habillement femmes d’un grand magasin. Idéalisant
un monde élégant et sophistiqué, séducteur invétéré
de ses vendeuses et de ses clientes, entouré de deux
subalternes obséquieux et souffre-douleur, Rafael
brigue le poste de responsable général que lui dispute
Don Antonio, son homologue au rayon hommes. Malgré un
meilleur chiffre d’affaires obtenu de manière fort
peu orthodoxe, Rafael n’obtient pas le poste convoité.
A la suite d’une altercation violente entre les deux
rivaux, Don Antonio se tue accidentellement. En tentant
de faire disparaître le corps, Rafael est repéré par
Lourdes, la vendeuse la plus moche et la plus
insignifiante de l’équipe. Au prix d’un chantage
constant, l’énergique et pleine de ressources Lourdes
met main basse sur son patron dans un harcèlement de
chaque instant, surtout sexuel, provoquant une paranoïa
suraiguë chez Rafael.
Alex
de la Iglesia
n’y va pas avec le dos de la cuillère et c’est
l’aspect le plus excitant de son film qui à coup de
traits grossiers et dans un rythme endiablé se pose
aussi comme une satire violente et loufoque de la société
de consommation et de la dictature des canons de beauté.
Ainsi, Rafael hâbleur impénitent à l’ego
surdimensionné et à l’ambition démesurée n’a
t-il jamais prêté la moindre attention à l’effacée
Lourdes, laquelle, pas dupe de la lâcheté de son supérieur,
se révélera une femme d’affaires hors pair.
Cette
débauche de couleurs et de personnages déjantés –
les yeux de Lourdes et le regard « fuyant »
du commissaire valent le déplacement – renvoie
directement à la première période du mentor du cinéaste.
On y retrouve la même inclination pour la monstruosité
et le mauvais goût.
Jusqu’à
la disparition de Don Antonio, dont la réapparition
sous forme d’un spectre verdâtre est discutable, Le
Crime Farpait est franchement tordant et emballant
grâce à son tempo qui en fait une sorte de comédie
musicale et à sa cruauté mise à dépeindre les mœurs
de ses contemporains. On rit à gorge déployée, ce qui
n’est pas si fréquent, y compris dans les moments les
plus outranciers.
La
seconde partie – l’élaboration par Rafael du crime
farpait pour se débarrasser de l’envahissante
Lourdes et de sa famille barjo - convainc moins car ne parvenant pas à soutenir la même
cadence qu’au début.
Hormis
cette faiblesse, l’auteur de Mes chers voisins
signe là son film le plus abouti dont l’énergie
vitaminée se met au service d’un scénario
irrespectueux et insolent. Les touches d’humour
caustique qui parsèment cette histoire surréaliste et
improbable font aussi penser à l’œuvre d’un autre
cinéaste ibérique de premier plan : Luis Bunuel.
C’est sans doute là le plus beau compliment à faire
à Alex de la Iglesia.
Patrick
Braganti
Film
espagnol – 1 h 44 – Sortie le 11 Mai 2005
Avec
Guillermo Toledo, Monica Cervera, Luis Varela
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