Dans les champs de bataille
de
Danielle Arbid
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Au début des années 80, Beyrouth, la capitale du
Liban, petit pays au nord d’Israël et à l’ouest de
la Syrie, possédant une importante façade maritime sur
la Méditerranée, fait l’objet d’un blocus de la
part de l’armée israélienne, qui en chasse les
forces palestiniennes. Les années suivantes seront
celles d’un conflit permanent ponctué de
bombardements et de prises d’otages. L’expression
popularisée « c’est Beyrouth »
pour désigner un endroit dévasté illustre bien l’état
de délabrement durable de cette ville.
C’est exactement dans cette époque et cet
environnement que Danielle Arbid situe son
premier long-métrage. Cette libanaise de trente-cinq
ans a suivi des études de littérature et de
journalisme à Paris avant d’entamer en 1998 la réalisation
de plusieurs documentaires sélectionnés et récompensés
dans une centaine de festivals.
Dans
les champs de bataille,
malgré un titre évocateur de guerre, n’est pas à
priori une évocation directe du conflit sus-mentionné,
même s’il est omniprésent et que son impact sur la
vie des citadins est indéniable : alertes
nocturnes qui précédent refuges plus ou moins longs et
confortables dans les sous-sols des immeubles, pénuries
diverses, infrastructures saccagées et malaises
existentiels.
Le
film s’attache à la vie de Lina, une jeune fille de
douze ans, au regard noir, fouineur et pénétrant qui
tente de vivre et de grandir de manière instinctive et
sur le fil du rasoir dans un contexte doublement cruel :
l’état de guerre en toile de fond, sa famille dans le
quotidien. Elle est un « mélange
d’effronterie et d’appréhension, une tête de femme
sur un corps menu d’enfant »
En
effet, Lina n’est pas franchement gâtée avec sa
famille. Son père est un joueur invétéré, infantile
et couvert de dettes qui mène une vie d’enfer à sa mère
et à elle-même. La sœur aînée de son père, surnommée
Tante Yvonne – la propre tante de la réalisatrice, néophyte
étonnante - au visage émacié et parcheminé, qui veut
régenter toute la famille et passe ses après-midi à
jouer au poker avec ses vieilles copines, a acheté une
jeune bonne Siham avec laquelle Lina s’est lié à
travers une amitié ambiguë. Elle la suit dans ses
rencontres avec les jeunes miliciens et passe avec elle
de longs moments de désoeuvrement comme des millions
d’adolescents.
Aux
dires mêmes de la réalisatrice, « Lina se
nourrit du malheur des autres pour se fabriquer une
sorte de cocon ». Sans réelle conscience du
bien et du mal, « elle sait d’emblée
qu’elle habite une jungle. Elle devient obsédée par
une idée fixe, celle d’être perçue par les autres
et de faire partie de leur clan ». Une
obsession qui se nourrira de trahison et de rébellion.
Largement inspirée par sa propre histoire, Danielle
Arbid propose une réflexion personnelle et singulière
sur l’entremêlement entre la guerre au dehors et
celle au dedans, au sein d’une famille en train de se
décomposer sous nos yeux, dont « tous les membres
sont dans une impasse, presque morts ».
Dans
cette proximité à la fois effrayante et fascinante de
la guerre, la réalisatrice se livre à une exploration
minutieuse des sentiments et utilise des cadres très
serrés, proches des visages et des corps. Elle aime à
cadrer ses personnages dans les angles, en remontant des
pieds, jambes et genoux vers le buste et la tête.
Avec
beaucoup de justesse, un sens aigu des paradoxes, Dans
les champs de bataille est un premier film qui réussit
la prouesse de réfléchir sur la guerre et ses conséquences
sans montrer une seule scène de bataille, tout en
distillant un climat tendu et asphyxiant d’une part,
sensuel et enivrant d’autre part.
Patrick
Braganti
Film
Libanais et français – 1 h 30 – Sortie le 29 Décembre
2004
Avec
Marianne Feghali, Rawia Elchab, Laudi Arbid
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