La
meilleure nouvelle apportée par Dans Paris,
c’est sans doute la sérénité atteinte par Christophe
Honoré. Il faut bien avouer que cette (jolie)
tête à claques, qui exerce ses talents certains
aussi bien en écriture comme critique ou auteur
qu’au cinéma comme scénariste ou réalisateur,
est loin de laisser indifférent, ayant plus
souvent qu’à son tour suscité la haine ou la
rage par ses prises de positions tranchantes, où
se bousculent une mauvaise foi ironique, une
cruauté perverse qui constitue sa marque de
fabrique et une honnêteté indéniable. Ce breton
d’origine modeste, ce qui explique notamment son
désir teigneux de revanche, très tôt révélé
au cinéma par sa grand-mère, a décidément tout
pour (dé)plaire. Si jusqu’à présent les
opinions ont été partagées, mais jamais tièdes
– car le garçon n’inspire pas la demi-teinte
-, sur ses précédents opus (Dix-sept fois Cécile
Cassard, portrait fragmenté et original
d’une femme en deuil, suivi de l’adaptation du
sulfureux roman de Bataille : Ma mère),
Christophe Honoré devrait pour son troisième
film recevoir un accueil critique et public plus
unanime.
Certes,
il n’abandonne en rien ses thèmes de prédilection,
à savoir la famille et plus précisément la
relation fraternelle, mais il y insuffle de la
tonicité et de la mélancolie, qui rendent Dans
Paris charmant et émouvant. Le film
s’articule autour de Paul (Romain Duris
enfin débarrassé de ses rôles stéréotypés de
branleur globe-trotter), en pleine dépression
suite à un chagrin d’amour, de retour à la
maison : chez son père (Guy Marchand
excellent dans une composition de papa poule gâteau,
dépassé par les événements). Dans
l’appartement en pleine seizième, avec vue sur
la Tour Eiffel, mais qui fait plutôt appartement
de banlieue, le jeune frère Jonathan (Louis
Garrel à l’opposé de ses rôles habituels
de beau ténébreux tourmenté révèle une
puissance comique insoupçonnée) est relégué au
salon et sollicité par son père impuissant pour
aider Paul.
Après
un préambule où Jonathan se présente à nous,
face caméra, comme le narrateur volubile et désinvolte
de l’histoire et avant d’être Dans Paris,
l’action se situe d’abord à la campagne. Le
premier petit tiers du film met en scène la détérioration
du couple formé par Paul et Anna, qui aboutit à
la dépression de celui-ci et à son retour dans
la capitale. Christophe Honoré reconnaît
lui-même que son cinéma est « composé
de plusieurs blocs », rompant avec
l’homogénéité et installant a contrario
frictions et impression d’inachevé. Plus
qu’une explication à l’état léthargique et
renfermé de Paul, le « bloc campagnard »
met en place un dispositif – l’éclatement
douloureux d’un couple – en totale opposition
avec la suite. De toute manière, l’idée
d’opposition circule à travers tout le film :
celle des deux frères, le dépressif et
l’extraverti ; celle formelle de l’intérieur
et de l’extérieur et celle moins perceptible de
la relation au temps : Paul est prisonnier
d’un passé qui l’entrave et dont on verra
qu’il ne se réduit pas à sa seule histoire
d’amour récente et Jonathan se place dans une
perpétuelle fuite en avant, qui le conduit à la
multiplication des rencontres amoureuses, comme
autant de fictions possibles et d’histoires à
(se) raconter.
Dans
ses intentions, Christophe Honoré avoue
avoir voulu « faire un film français »,
mais aussi « filmer Paris comme un musée
de cinéma ». A force de médire,
parfois avec justesse, souvent avec exagération
provocatrice, le réalisateur de Ma mère a
fini par se rendre compte, et sans doute accepter,
combien il aimait le cinéma français et ses plus
brillants représentants comme Eustache, Demy ou
Truffaut. Des noms qui sont logiquement convoqués
comme référence ou inspiration : Eustache
pour la première partie, Demy pour la
conversation téléphonique chantée entre Paul et
Anna, et Truffaut pour la fantaisie légère et énergique
du trublion Jonathan en héritier direct de
Jean-Pierre Léaud.
Malgré
tous les sujets graves abordés : crise du
couple, séparation, deuil et cafard ambiant, Dans
Paris refuse le parti de la tristesse,
pourtant bien tentant à l’image des eaux noires
de la Seine. Bien sûr Christophe Honoré
est toujours attentif à l’habillage musical et
aux corps masculins : Duris et Garrel
ont déjà été comédiens chez lui. Et ce
n’est pas pour rien que Jonathan est filmé un
instant arrêté devant l’affiche de Last
Days.
Nullement
encombré de ses références qu’il revisite et
dynamite avec une classe incroyable, Dans Paris
marque avec force l’arrivée à maturité d’un
cinéaste talentueux et exaspérant, sincère et
agaçant.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 32 – Sortie le 4
Octobre 2006
Avec
Romain Duris, Louis Garrel, Guy Marchand,
Marie-France Pisier, Joana Preiss
Plus+
www.dansparis-lefilm.com
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