Après
une guerre civile et l’amnistie générale
accordée aux bourreaux, les proches des victimes
se retrouvent désappointés et en proie à un
dilemme impossible : se résigner, donc
pardonner, ou se faire justice soi-même, donc
devenir à son tour bourreau tortionnaire ?
Question essentielle qui pose du même coup celle
du vivre ensemble après une période de violence
et de haine qui prend ici racine au Tchad et à
N’Djamena, sa capitale, ravagés par la guérilla
depuis 1965, ayant provoqué la mort ou la
disparition de 40 000 personnes. Mahamat Saleh
Haroun choisit volontairement le Tchad car
c’est son pays d’origine, mais le sujet dépasse
largement des frontières identifiées pour
toucher à l’universel et malaxer des notions
comme le pardon, la fascination et la répulsion
si souvent couplées, la nécessité de grandir et
de s’affranchir de toute tutelle pour atteindre
l’autonomie en se débarrassant des scories
d’un passé inoubliable.
C’est
la trajectoire de Atim, jeune orphelin de seize
ans chargé par son grand-père pour aller
assassiner Nassara, le meurtrier de son père, qui
sert donc à Mahamat Saleh Haroun de cadre
à cette réflexion noble et tranquille. Car, plus
que les événements en eux-mêmes, ce sont leurs
conséquences sur la vie de ceux qu’elles
concernent directement qui passionnent le cinéaste
tchadien. Daratt tient ainsi du conte et de
la fable. Quittant son village, Atim part pour la
grande ville où il est déjà hébergé chez un
voleur à la petite semaine avant de retrouver
Nassara et de pénétrer son univers. Nassara
boulanger de son état fait du jeune homme son
apprenti et des liens inattendus se tissent entre
les deux hommes, compliquant la tâche d’Atim,
envahi par une kyrielle de sentiments
contradictoires qui l’éloignent toujours plus
de son objectif initial. Daratt refuse tout
manichéisme et l’histoire que l’on pourrait
penser balisée et résolue par avance se meut en
intrigue haletante à la tension croissante.
L’ancien bourreau distribue aujourd’hui son
pain aux enfants nécessiteux et semble rongé par
ses actes anciens qui ont suscité la haine de ses
voisins. Atim, qui n’a jamais connu son père,
trouve en Nassara un substitut paternel,
remplissant le rôle fondateur d’éducateur, de
conseiller, voire de protecteur.
C’est
un film sec et épuré, baigné dans une lumière
blanche et crayeuse, presque aveuglante qui
s’oppose violemment à la couleur de la peau,
particulièrement dans les scènes au pétrin où
l’épiderme en sueur devient luisant. Soigné
dans sa mise en scène au cordeau qui privilégie
l’affrontement quasi muet des deux protagonistes
– Atim ne parle presque pas et Nassara victime
d’une tentative d’égorgement doit plaquer un
appareil sur sa gorge pour s’exprimer - , Daratt
interprété par des acteurs non professionnels
s’est vu justement récompensé du Prix spécial
du jury à la dernière Mostra.
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 35 – Sortie le 27 Décembre
2006
Avec
Ali Bacha Barkai, Youssouf Djoro, Aziza Hisseine
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