Les
premières paroles prononcées par Martin, débusqué
dans sa cachette par son instituteur le jour des
vacances d’été, signifiant son désir de
redoubler sont lourdes de sens car le vœu de ne
pas passer dans la classe supérieure nullement
motivé par un niveau insuffisant exprime avant
toute chose celui de ne pas grandir et de retarder
le plus possible son entrée dans le monde des
adultes, circonscrit ici à celui de sa famille,
qu’il scrute et épie, petit espion peu bavard,
effacé et déjà dévasté par un entourage pour
le moins mortifère et violent – non pas une
violence physique, mais celle des liens, de
l’histoire et des non-dits lourds de secrets et
de malaises qui régissent la famille de Martin.
Dans
l’énorme bâtisse qui tient de la maison
bourgeoise et de l’exploitation agricole, vivent
Martin et les siens : son frère aîné
Didier, jeune homme révolté et mal dans sa peau,
homosexuel et alcoolique, qui tente d’écrire un
premier roman ; leurs parents, un père résigné
qui fait tourner la ferme par lassitude et routine
sous l’autorité despotique de sa propre mère,
et une épouse cloîtrée au premier étage dans
sa chambre sombre, femme malade en proie à de
terribles crises nocturnes dont seule Malika,
bonne, cuisinière et presque mère de
substitution, parvient à venir à bout.
Pour
Martin, les jours s’écoulent à regarder et à
côtoyer ce monde étrange et cruel, de temps à
autre entrecoupés par quelques jeux d’enfants
avec Catherine, une jeune voisine, qui lui préfère
rapidement la compagnie d’adolescents plus
aventureux. Ainsi, le petit garçon voit-il son
territoire et son environnement de plus en plus
contraints, rétrécis et livrés à la plus
totale des confusions, rythmés par les coups d’éclat
de son frère, les crises de démence de sa mère,
les réprimandes de sa grand-mère et la
protection consolatrice et apaisante de Malika.
Uniquement
vu à travers le regard de l’enfant, Le
Dernier des fous est une œuvre radicale tant
dans son fond que dans sa forme, ce qui en fait du
même coup, un film cohérent et puissant.
L’impression globale est celle de l’étau, qui
enserre cette famille brisée par la maladie de la
mère qui a fini par transformer Didier en loque,
son père en béni-oui-oui face à une grand-mère
glaciale, détenant les cordons de la bourse. Pour
traduire ce climat pesant, Laurent Achard
opte pour une mise en scène tendue, tirée au
cordeau, à la précision millimétrique,
multipliant l’utilisation de cadres artificiels comme
autant de trous, de fenêtres servant de points
d’observation à Martin. Le cinéaste travaille
également les contrastes entre la splendide lumière
estivale et campagnarde – le monde rural avait déjà
servi de décor à son premier film Plus
qu’hier, moins que demain – et les intérieurs
(chambres, grange) obscurs, participant à
l’installation d’une ambiance pesante.
Dans
sa volonté d’épure et de tendre vers une
certaine abstraction, Laurent Achard
s’inscrit en droite lignée des Bresson,
Eustache et Pialat. Une filiation à la fois légitime
et lourde à porter. Car si Le Dernier des fous
convainc et envoûte par sa maîtrise, sa
direction d’acteurs et la virtuosité de sa mise
en scène, il peut être vu pour les mêmes motifs
comme un exercice de style désincarné, confinant
à la perfection, empilant les clichés et n’évitant
pas quelques postures théâtrales. Il n’en
reste pas moins que Le Dernier des fous
s’avère une tentative réussie et réjouissante
pour le cinéma français de comment filmer un
monde uniquement saisi et interprété par le
regard d’un enfant. Une vision réaliste et
stylisée, sans concessions, qui ne brosse pas le
spectateur dans le bon sens du poil, ça vaut forcément
le détour…
Patrick
Braganti
Drame
français – 1 h 36 – Sortie le 3 Janvier 2007
Avec
Julien Cochelin, Pascal Cervo, Annie Cordy
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