cinéma

Le Dernier des fous de Laurent Achard

[4.0]

 

 

Les premières paroles prononcées par Martin, débusqué dans sa cachette par son instituteur le jour des vacances d’été, signifiant son désir de redoubler sont lourdes de sens car le vœu de ne pas passer dans la classe supérieure nullement motivé par un niveau insuffisant exprime avant toute chose celui de ne pas grandir et de retarder le plus possible son entrée dans le monde des adultes, circonscrit ici à celui de sa famille, qu’il scrute et épie, petit espion peu bavard, effacé et déjà dévasté par un entourage pour le moins mortifère et violent – non pas une violence physique, mais celle des liens, de l’histoire et des non-dits lourds de secrets et de malaises qui régissent la famille de Martin.

 

Dans l’énorme bâtisse qui tient de la maison bourgeoise et de l’exploitation agricole, vivent Martin et les siens : son frère aîné Didier, jeune homme révolté et mal dans sa peau, homosexuel et alcoolique, qui tente d’écrire un premier roman ; leurs parents, un père résigné qui fait tourner la ferme par lassitude et routine sous l’autorité despotique de sa propre mère, et une épouse cloîtrée au premier étage dans sa chambre sombre, femme malade en proie à de terribles crises nocturnes dont seule Malika, bonne, cuisinière et presque mère de substitution, parvient à venir à bout.

Pour Martin, les jours s’écoulent à regarder et à côtoyer ce monde étrange et cruel, de temps à autre entrecoupés par quelques jeux d’enfants avec Catherine, une jeune voisine, qui lui préfère rapidement la compagnie d’adolescents plus aventureux. Ainsi, le petit garçon voit-il son territoire et son environnement de plus en plus contraints, rétrécis et livrés à la plus totale des confusions, rythmés par les coups d’éclat de son frère, les crises de démence de sa mère, les réprimandes de sa grand-mère et la protection consolatrice et apaisante de Malika.

 

Uniquement vu à travers le regard de l’enfant, Le Dernier des fous est une œuvre radicale tant dans son fond que dans sa forme, ce qui en fait du même coup, un film cohérent et puissant. L’impression globale est celle de l’étau, qui enserre cette famille brisée par la maladie de la mère qui a fini par transformer Didier en loque, son père en béni-oui-oui face à une grand-mère glaciale, détenant les cordons de la bourse. Pour traduire ce climat pesant, Laurent Achard opte pour une mise en scène tendue, tirée au cordeau, à la précision millimétrique, multipliant l’utilisation de cadres artificiels comme autant de trous, de fenêtres servant de points d’observation à Martin. Le cinéaste travaille également les contrastes entre la splendide lumière estivale et campagnarde – le monde rural avait déjà servi de décor à son premier film Plus qu’hier, moins que demain – et les intérieurs (chambres, grange) obscurs, participant à l’installation d’une ambiance pesante.

 

Dans sa volonté d’épure et de tendre vers une certaine abstraction, Laurent Achard s’inscrit en droite lignée des Bresson, Eustache et Pialat. Une filiation à la fois légitime et lourde à porter. Car si Le Dernier des fous convainc et envoûte par sa maîtrise, sa direction d’acteurs et la virtuosité de sa mise en scène, il peut être vu pour les mêmes motifs comme un exercice de style désincarné, confinant à la perfection, empilant les clichés et n’évitant pas quelques postures théâtrales. Il n’en reste pas moins que Le Dernier des fous s’avère une tentative réussie et réjouissante pour le cinéma français de comment filmer un monde uniquement saisi et interprété par le regard d’un enfant. Une vision réaliste et stylisée, sans concessions, qui ne brosse pas le spectateur dans le bon sens du poil, ça vaut forcément le détour…

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 36 – Sortie le 3 Janvier 2007

Avec Julien Cochelin, Pascal Cervo, Annie Cordy