Dolls de
Takeshi Kitano
On
a parfois tendance à oublier que le cinéma reste un
spectacle et qu’il est d’autant plus appréciable
lorsqu’il est beau à regarder, à l’instar d’un
paysage, d’une toile de maître – la beauté
n’excluant certes pas le sens et la profondeur. Sur ce
plan, le dernier film de Kitano est une réussite
époustouflante qui après deux heures de projection
vous laisse subjugué, sous le choc d’un film sublime
à l’esthétisme ravageur et magnifique.
Autant
dire que Kitano nous surprend avec Dolls,
variations sur le thème de l’amour et hommage également
au bunraku, un des arts traditionnels du théâtre
japonais qui met en scène des marionnettes de taille
respectable manipulées par trois hommes dont deux
couverts de capuche et accompagnées d’un récitant-chanteur
et d’un joueur de shamisen, un instrument à trois
cordes, d’ailleurs pratiqué par la grand-mère du réalisateur.
Le
film met en scène trois histoires d’amour différentes :
celle de deux étudiants décidés à se marier jusqu’à
ce que le garçon ambitieux choisisse de s’unir à la
fille de son patron ; mais la tentative de suicide
de son ancienne fiancée va faire basculer le cours du
destin – celle d’un vieux yakuza qui retrouve après
des dizaines d’années la femme qu’il avait alors
abandonnée, laquelle lui avait fait la promesse de
revenir chaque samedi dans un parc public avec son déjeuner
– celle enfin d’une ancienne vedette de la chanson
retirée du monde suite à un accident qui l’a défiguré
et d’un de ses fans les plus énamourés.
Kitano
va montrer combien l’amour est difficile, source de déchirements
et de ruptures, mais aussi combien il peut transcender
les êtres jusqu’à l’abnégation la plus totale, le
sacrifice le plus monstrueux.
Nous sommes donc ici bien loin des films plus violents
du réalisateur et le monde des yakuza qui servait de
toile de fond à nombre de ses premiers films comme Sonatine
ou Hana-Bi est ici juste évoqué comme contexte
de la seconde histoire d’amour. L’été de
Kikujiro laissait déjà entrevoir que Kitano était
aussi un réalisateur plein de délicatesse et de
sensibilité.
Mais c’est réellement peu de choses comparé au choc
ressenti à la vision de Dolls, bouleversant à
plus d’un titre. La mise en scène est parfaite, la
musique de Joe Hisaishi, fidèle ami de Kitano,
accompagne le film tout en finesses, jamais
grandiloquente ni appuyée, toujours présente aux bons
moments. Les acteurs sont au diapason, avec bien sûr
toujours cette sorte de non-jeu peu expressif, tout en
retenues, mais dont justement les moindres expressions
(sourires, larmes) prennent ici une dimension
remarquable. Et puis il faut ajouter la splendeur des
paysages, au rythme des saisons et des transformations
de la nature qui devient un camaïeu d’ocres, de
rouges et de jaunes époustouflants et la beauté aussi
des costumes créés tout spécialement par le couturier
Yamamoto.
Enfin
nous devons garder à l’esprit le titre du film Dolls
(poupées, marionnettes) et la fin du film, sorte de
boucle qui renvoie à la première scène de bunkaru,
peut être vue comme une métaphore ou une réflexion
sur le sens de la vie et sur le déterminisme des hommes
à diriger ou pas leur vie.
La
portée métaphysique voire philosophique de Dolls,
associée à la beauté la plus absolue et la plus émouvante,
font aujourd’hui de Takeshi Kitano un des
meilleurs réalisateurs au monde avec qui il faudra de
plus en plus compter et franchement qui pourrait s’en
plaindre ?
Patrick
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