Olivier
Ducastel & Jacques Martineau entretien
Auteurs à ce jour de trois
longs-métrages : Jeanne et le garçon formidable
(1998), Drôle de Félix (2000) Ma vraie vie
à Rouen (2002) Olivier Ducastel et Jacques
Martineau forment un des rares duos de réalisateurs
du cinéma français actuel. Auteur d’un cinéma vif,
léger et grave à la fois, ils reviennent sur leur
dernier film et portent un regard sur leur carrière
courte mais déjà bien remplie.
Benzine
: Pourquoi
avez vous choisi ce mode de filmage qui tient à la fois
du film bricolo de famille et d'une posture très
tendance (la caméra numérique) ?
"Tendance" n'est pas le terme que nous aurions
employé. Cela dit, il est vrai que la caméra numérique
est plutôt à l'honneur. Si tendance il y a, elle est
"technologique" : il s'agit là d'un nouvel
outil, de nouvelles
images que nous avions envie d'essayer et d'explorer.
Toutefois, nous ne voulions pas nous contenter de
remplacer la caméra 35mm par une caméra numérique.
Nous voulions que l'histoire elle-même conditionne et
explique ce choix. C'est pourquoi nous avons mis la caméra
entre les
mains du personnage principal. Il nous est très vite
apparu alors que
c'était, pour nous, le seul point de vue possible pour
raconter cette
histoire, pour faire un film vraiment intime. La caméra
numérique va
bien au cinéma de l'intime.
Qu'est ce qui a motivé le choix de Rouen ?
Il s'agit avant tout d'un choix biographique : Olivier a
vécu à Rouen de
8 à 18 ans et c'est là qu'il a découvert le cinéma.
C'est aussi un choix
pratique : c'est une ville proche de Paris et que nous
connaissons bien.
Nous n'avions pas à chercher les décors, par exemple :
les scènes ont
toujours été écrites pour des lieux que nous
connaissions.
D'autre part nous voulions vraiment tourner en province
et Rouen a une
physionomie très particulière : c'est une ville à la
fois enfermée dans
ses collines et dont on s'échappe facilement. De plus,
Rouen est à
proximité de la mer et des falaises qui sont si
importantes dans le récit.
Le film donne souvent l'impression d'être improvisé,
de ne pas être toujours maîtrisé, ce qui lui donne
aussi un vrai aspect de liberté. Tout était-il préparé
ou avez vous laissé aux acteurs une vraie marge
d'improvisation ?
En fait, le film est très écrit et préparé. Il n'y a
pas d'improvisation : les acteurs disent toujours le
texte, avec les petits aménagements ordinaires autorisés
pour rendre le texte plus "naturel" au moment
de
la prise. En revanche, c'est nous qui nous sommes laissé
une plus grande marge d'improvisation : nous faisions
une mise en place rapide du plan et tournions très
vite, en laissant survenir des "accidents" qui
nous semblaient nécessaires à l'esthétique particulière
du film.
On sent beaucoup dans ce film le passage des saisons
à travers la lumière, les paysages ou encore les vêtements
des acteurs. Avez vous eu cette volonté d'inscrire le
film dans un espace temps ?
Absolument, il s'agit là même du plus grand luxe que
nous nous sommes
offert sur ce tournage. La légèreté de l'équipe, le
budget ridiculement
modeste, nous ont permis d'imaginer un tournage étalé
sur 8 mois. Nous voulions saisir ce passage des saisons,
les variations de la lumière et espérions aussi, peut-être,
enregistrer quelque chose de la
transformation de nos deux acteurs adolescents. Il
s'agit là de choses
minimes que le cinéma " classique " ne peut
guère enregistrer, à moins
d'avoir un budget énorme qui permette un tournage aussi
long. Le choix
de la DV se justifiait aussi de ce point de vue.
Vous sentez vous témoins de votre époque ? L'intégration
des
élections présidentielles et la manif du 1er Mai sont
à cet égard
intéressantes. Etienne aurait-il pu être un enfant de
droite ?
Les adolescents sont allés manifester entre les deux
tours : nous ne
savons pas s'ils avaient des idées politiques très
claires ou s'ils se
sentaient appartenir à tel ou tel courant idéologique.
Cela dit, nous
aurions du mal à représenter des personnages de
droite, c'est certain.
Quant à nous, naturellement nous nous sentons témoins
de notre époque et nous avons toujours inscrit nos
films dans leur temps. Nous pensons que la fonction
documentaire du cinéma est essentielle.
Jeanne, Félix et aujourd'hui Etienne
grandissent et apprennent à se connaître, à se découvrir
tout au long de vos films. Y a-t-il chez vous une volonté
de mettre en scène ce type de parcours ?
Ce n'est pas une volonté consciente, mais elle doit être
réelle et à
notre avis elle correspond au fait que, nous aussi, en
tant que
réalisateurs nous "cherchons" quelque chose
et apprenons à mieux nous connaître.
Diriez vous comme moi qu'Etienne est le petit frère
de Félix ?
En quelque sorte, oui. À ce propos, nous n'avons pas
choisi au hasard le prénom d'Étienne. Dans Drôle de Félix,
au début, Félix manque se prendre sur la tête un
cerf-volant en se promenant au bord de la mer à Dieppe.
C'est un adolescent qui tient ce cerf-volant.
Aujourd'hui, la scène est très courte, mais dans le scénario
elle était plus développée et on apprenait que l'adolescent
s'appelait Étienne. Nous avons toujours imaginé qu'Étienne
et Félix pouvaient se croiser ou s'étaient croisés à
Dieppe.
Votre cinéma a souvent des accents de militance, de
reconnaissance des différences, notamment celle de
l'homosexualité. Comment pensez vous que cet aspect de
vos films soit perçu chez les minorités concernées ?
En avez vous des échos lors de vos tournées
promotionnelles ?
C'est un peu difficile à dire. Nous recevons cependant
des témoignages
très émus, en particulier de jeunes homos. D'un autre
côté, nous sentons aussi qu'un certain public homo est
déçu que le film ne soit pas plus "sexy".
Comédie musicale, road-movie puis utilisation de la
dv : y a t'il une volonté de changer de mode à chaque
film ?
Ce n'étais pas aussi conscient que cela. Ce qui nous a
conduit
principalement était le désir de trouver plus de
liberté de tournage, et
de consacrer plus de temps au travail avec les acteurs
sur le plateau.
Cela dit, il nous semble normal de ne pas refaire ce
qu'on a déjà fait.
Quels sont vos projets actuels ?
Alors, là, c'est un peu compliqué : nous avons un joli
scénario de
féerie. Une sorte de film pour enfant, avec des
chansons et de la danse. Malheureusement, nous ne
parvenons pas à en boucler le financement, pour des
raisons que nous ne comprenons pas bien.
Nous avons aussi commencé à écrire avec la romancière
Olivia Rosenthal une histoire d'amour entre deux
femmes. Ce projet-ci nous paraît aussi un peu difficile
à produire dans les circonstances actuelles.
Bref, nous pensons passer à autre chose, mais ce n'est
pas encore très clair pour nous.
Le financement des films devient de plus en plus
difficile, surtout
lorsqu'on ne cherche pas à faire un cinéma très évidemment
"vendable".
Propos
recueillis par Patrick - Mars 2003
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