cinéma

Eternal sunshine of the spotless mind de Michel Gondry  

 

 

    Joël, homme introverti et décalé, et bien peu adapté aux réalités parfois abruptes du monde moderne, est trop malheureux depuis sa rupture avec Clémentine, et décide pour cela de faire comme elle, de gommer son existence et donc tout ce qu’ils ont vécu en commun, afin de pouvoir démarrer une vie nouvelle, sans elle. Sauf qu’il regrette très vite cette idée… se rendant heureusement compte qu’il ne suffit pas de vouloir effacer les souvenirs de la mémoire pour justement « oublier »… Au contraire, ceux-ci demeurent persistants et ravivent la présence de Clémentine, dont il (re)tombe amoureux. Tel est le postulat de base du film de Michel Gondry, sur la base d’un scenario brillant de Charlie Kaufman (scénariste entre autres de « Dans la peau de John Malkovitch » et de « Confessions d’un homme dangereux » : c’est dire si les méandres du cerveau l’intéressent…).

 

    Cette plongée dans l’imaginaire de Joël n’est ainsi pas sans (bonnes) conséquences. Même si par moments, le rêve éveillé semble tourner au cauchemar, quand l’oubli apparaît justement trop menaçant, et que tout a l’air de se dérober… Mais la gageure de Brondy réside dans le fait que le spectateur est comme Joël, ne sachant pas (plus) ce qui est de l’ordre du réel ou de l’illusoire, tant les images semblent tout à la fois tangibles et pourtant tellement oniriques. On remonte ainsi les arcanes du temporel pour aller à la source et à l’éclosion du sentiment amoureux, celui qu’on voudrait, à l’instar de Joël et Clémentine, ne jamais pouvoir perdre, ou voir s’abîmer…

« Peu importe la nature de l’objet aimé du moment que l’on aime » disait André Breton ; peu importe donc les défauts de l’être aimé (même si on est tenté de les lui reprocher), mais peu importe aussi ce que nous dicte notre conscience, l’amour se soucie bien peu du temporel (comme le montre bien d'ailleurs les incursions dans les méandres du cerveau de Joël, où se mélangent passé, présent et futur dans un apparent illogisme), et aussi bien peu du mental et de ses raisonnements et analyses soit-disant « objectifs » qui tournent justement bien trop souvent en rond… Le rêve, qui est l’alcôve de la mémoire, peut être vue ici comme une « seconde vie » (Gérard de Nerval). Et il apparaît alors surtout essentiel de s’affranchir de ses propres peurs, du futur qui angoisse, et du passé qui freine, et d’essayer de vivre, tout simplement, avec intensité, l’instant présent…

Joël et Clémentine vont ainsi découvrir que ce qui a été vécu leur appartient à jamais, et le bonheur de ces moments partagés ne pourra pas leur être volé (ou s’effacer), comme les mauvais souvenirs ne pourront jamais dissiper tous ceux, beaucoup plus heureux, qui ont forgé leur amour, amour qui survivra de toute façon bien au-delà de leur présent ou d’un passé mélancolique. Dans une éternité atemporelle où les âmes de chacun savent bien qu’ils ne se quitteront jamais. Parce que restera pour toujours « l’éternel éclat des âmes immaculées ».

Cette mise en abyme aurait pu donner un film lourdingue, car trop bien ficelé et/ou emboîté, mais fort heureusement Michel Gondry a souhaité laissé place à de l’impondérable, à des « incohérences » comme il dit (« la vie est tellement compliquée qu’on ne peut pas tout contrôler… »). Et la virtuosité de sa mise en scène, même si trop « cérébrale » par moments, est complètement adaptée à cette histoire « transcendantale » ! Et met d’autant en relief les boucles temporelles de la mémoire, qui permettent de voir que le temps vient et re-vient, comme les marées, et parfois de très loin, dans un perpétuel recommencement, qui nous permet ainsi de revivre les événements, voire de les réinterpréter… dans une autre temporalité. Comme une boucle qui retombe sur elle-même. Quant à l’interprétation, Jim Carrey (qui fait ici dans la sobriété), n’a jamais été aussi bouleversant, et compose avec Kate Winsley un couple tout à fait crédible et très attachant (même si quelque peu « maniaco-dépressif » à certains moments…). Notons aussi les seconds rôles (Kirsten Dunst, Mark Buffalo…), impeccables eux aussi.

 

    Ce film original et décalé (comme tous ses personnages), plus philosophique et spirituel qu’il n’en donne l’air, sur une histoire apparemment banale d’un homme et d’une femme qui se perdent pour mieux se retrouver, confirme le talent de scénariste de Charlie Kaufman et de cinéaste de Michel Gondry. Joli binôme franco-américain qui, on l’espère, donnera d’autres films tout aussi réussis.

 

Cathie Maillot

 

film américain de Michel Gondry, sorti le 6 octobre 2004 –

avec Jim Carrey et Kate Winslet, Kirsten Dunst, Mark Ruffalo…