Factotum
de Bent Hamer
[3.5]
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Un homme qui enlève ses chaussures pour les prêter
à sa compagne fatiguée de marcher sur ses hauts talons
et continue en chaussettes, ça dénote – on a beau
dire – une certaine classe et une certaine attention
à l’autre. Hank Chinaski n’en manque pas de classe,
ni d’ailleurs Factotum, petit film sans prétentions
composé de trois fois rien, signé par le cinéaste
norvégien Bent Hamer, déjà remarqué en 2003
dans Kitchen stories.
Tout comme Mickey Rourke dans Barfly en 1987, Matt
Dillon a repris le patronyme et endossé avec élégance
et charme le personnage de Chinaski. Dans les deux cas,
le nom fait référence à un des écrivains les plus
sulfureux de sa génération, surnommé « le
vieux dégueulasse », autrement dit Charles
Bukowski, surtout réputé pour son goût immodéré
pour l’alcool et les femmes. Poète, scénariste et
comédien à ses heures, Bukowski n’en finit
pas d’être une mine d’inspirations intarissables
pour le cinéma : de Barbet Schroeder à Marco
Ferreri en passant par Patrick Bouchitey et le belge
Dominique Deruddere, tous s’y sont collés avec un
attrait évident.
Dans Factotum, Chinaski est en pleine galère.
Il ne parvient à garder aucun job qu’il décroche.
Qu’il travaille dans une conserverie de cornichons,
chez un réparateur de vélos, postule pour une
compagnie de taxis, soit chargé du dépoussiérage de
gigantesques statues dans un musée ou de faire le tri
de montagnes de cartons, il se fait royalement virer au
bout de quelques jours. Mais, l’homme considère
qu’il a mieux à faire : d’abord ingurgiter des
litres de scotch dans des bars glauques en compagnie de
femmes légères et faciles, gagner de l’argent grâce
aux paris hippiques, ensuite et surtout tenter d’écrire.
Des nouvelles, en attendant de se sentir prêt à passer
au roman. Régulièrement, il fait parvenir ses
manuscrits à une maison d’éditions. Jusqu’alors,
il n’a pas obtenu la moindre réponse, mais persévère
vaille que vaille.
Peut-être les romans et nouvelles de Chinaski/Bukowski
ne sont-ils pas inoubliables. Cependant, avant de
devenir un vieil obsédé alcoolique – éructant et
bourré sur le plateau de Bernard Pivot dans un mémorable
Apostrophes -, on croit volontiers qu’il fut un
homme jeune, doux et gentil, avec un sens indéniable de
la justice. Quand un homme occupe sa place dans les
tribunes du champ de courses, c’est Jan la compagne du
moment qui pousse Hank à la réclamer et à frapper le
contrevenant. Jan avec qui il passe son temps à picoler
et baiser est sa bouée de sauvetage, « une
putain qu’il veut transformer en femme ».
Après une truculente escapade chez un richard
compositeur d’opéras et mentor de jeunes filles
perdues, c’est vers Jan que Hank retourne. Et Jan qui
l’aidera à se débarrasser de ses morpions au cours
d’une scène cocasse.
Initialement proposé à Sean Penn, féru de l’écrivain,
le rôle a finalement échu à Matt Dillon qui
signe après Collision sa meilleure interprétation.
Il pétrit d’humanité et de sensibilité son
personnage ; un homme guidé par la devise « Si
vous y croyez et tentez le coup, alors allez y à fond »
en proie aux affres de la création littéraire, livrant
en voix off ses réflexions sur la vie. Ca n’a l’air
de rien mais la sauce prend. Il y a là une magie
soudaine et une émotion véritable à l’arrivée
d’une enveloppe même pas décachetée par son
destinataire, alors sans domicile. Sans fioritures, sans
clichés, Factotum réussit pleinement son coup :
nous rendre attachant un asocial profondément humain.
Patrick
Braganti
Film
Allemand, norvégien – 1 h 38 – Sortie le 23
Novembre 2005
Avec
Matt Dillon, Lili Taylor, Marisa Tornei
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