Le Filmeur de
Alain Cavalier
[4.0]
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En 1978, Alain Cavalier
tournait avec un opérateur et un ingénieur du son Ce
répondeur ne prend pas de messages où le cinéaste
apparaissait la tête entièrement enveloppée de
bandelettes hormis les yeux. Dans ce premier opus très
noir à la distribution plus que confidentielle, Alain
Cavalier y évoquait la perte d’une personne
importante de sa vie.
Dix-huit années plus tard, le réalisateur
tourne seul cette fois en caméra subjective La
Rencontre où son corps et son visage sont
constamment hors champ. Ne filmant que ses mains par
instants, l’auteur interroge l’impact de la
rencontre avec celle qui vient de croiser son chemin.
En 2005, alors que son dernier
film René date de 2002, Alain Cavalier
sort son troisième travail autobiographique. Le
Filmeur est le résumé très personnel de son
journal intime qui couvre la dernière décennie. Il y
apparaît totalement découvert, montrant se tête et
bien plus encore…
Faute de réussites depuis Thérèse
(1986) au succès surprenant et donc faute de moyens, Alain
Cavalier s’est progressivement affranchi des
contraintes économiques inhérentes au tournage et au
montage. Avec Le Filmeur, il atteint un niveau
ultime d’épure en utilisant une caméra numérique et
en étant son propre sujet. Cette démarche n’enlève
rien à la qualité de son travail. Au contraire, à
travers son propre témoignage, le cinéaste donne aussi
à voir sa propre vision du monde et de la vie ; la
vie d’un homme vieillissant, aujourd’hui âgé de 74
ans, qui doit affronter la mort de son père qu’il ne
parvient pas à filmer, la solitude et la grande
vieillesse de sa mère, mais aussi sa propre maladie :
une tumeur récidivante sur l’aile gauche du nez,
ainsi que les tourments de sa compagne Françoise
Widhoff.
Le Filmeur fait ainsi
coexister sur un même niveau les moments tragiques et
les instants plus légers. Pas de plainte particulière,
pas de pathos facile ; seulement la volonté de
montrer, pas d’exhiber, tout ce qui constitue la vie,
son déroulement chaotique et plein d’obstacles, sa
fin inexorable. Le pince-sans-rire Cavalier à
l’humanisme si naturel et si franc qu’il frise
parfois la naïveté la plus confondante narre par le
menu en plaçant son spectateur sur un pied d’égalité
des fragments de son existence. Souvent rattrapé par le
tragique, il n’en oublie pas pour autant de faire
preuve d’un humour revigorant, qui n’a jamais autant
été la politesse du désespoir. On ne peut que sourire
lorsqu’il offre à une statue de Sainte Thérèse un
cierge immense, le plus cher qu’il ait pu trouver,
pour la réchauffer quelque peu dans cette église
sombre et humide.
Succession de plans souvent
fixes, presque anodins, suivant les pérégrinations
multiples de l’auteur (chambres d’hôtels, toilettes
hôtelières de la province française), Le Filmeur
est aussi l’œuvre d’un homme devenu libre, dégagé
de toutes astreintes. Il est difficile de ne pas être
touché par cette approche atypique qui accouche d’un
film qui l’est tout autant, somme de mille instants
glanés sur dix années et de fragiles touches qui
parlent du temps qui passe. Peu distribué, pouvant être
considéré comme rébarbatif ou peu séduisant, Le
Filmeur mérite pourtant bel et bien d’être découvert.
L’optimisme et la rage de (sur)vivre qui s’en dégagent
en font le film le plus revigorant du moment.
Patrick
Braganti
Français
– 1 h 40 – Sortie le 21 Septembre 2005
Avec
Alain Cavalier, Christian Boltanski
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