Frères
d’exil a le mérite d’annoncer la couleur
d’entrée : il est en effet question dans
le troisième film du turc Yilmaz Arslan
d’exil et d’histoires de frères, réels ou
d’adoption. Un exil qui conduit tout droit des
terres arides du Kurdistan au supposé eldorado
allemand le jeune Azad. Il y retrouve son frère aîné
qui s’enrichit en jouant le mac violent auprès
de prostituées elles-mêmes exilées de l’Est.
N’approuvant pas les agissements malhonnêtes de
Semo, Azad préfère intégrer un foyer
d’accueil où il fait la connaissance du jeune
orphelin Ibo qu’il prend immédiatement sous son
aile. S’associant dans l’activité clandestine
de barbier dans les toilettes nauséabondes d’un
bar, Azad et Ibo essaient de survivre et de
s’intégrer. Mais la rencontre fâcheuse avec
deux frères turcs précipite les deux copains
kurdes dans une spirale de violence ravivée par
la tension séculaire entre les deux communautés.
Né
en Turquie, parti vivre en Allemagne pour ses études,
Yilmaz Arslan est au premier chef concerné
par les conséquences du déracinement. Ses deux
premières œuvres étaient déjà traversées par
les problématiques de l’immigration et de
l’intégration. Avec Frères d’exil, il
opte pour un traitement frontal qui privilégie
action et énergie, laissant de côté tout misérabilisme
et épanchement lacrymal sur ses héros. Il est néanmoins
dommage que ce parti pris de mise en scène
s’accompagne parfois d’une certaine
complaisance vis-à-vis de la violence ambiante.
Les scènes avec le chien d’un des deux frangins
turcs et d’une façon plus générale toutes les
scènes de bagarre baignent dans un flot d’hémoglobine
indigeste.
Cependant,
Yilmaz Arslan montre bien l’escalade perpétuelle
entre les deux groupes ethniques et
l’alimentation de la violence par la violence.
En ce sens, l’immigration exacerbe encore les
tensions et multiplie les motifs de conflits. Si
les parents turcs, épiciers tranquilles et
travailleurs, se sont intégrés, leur progéniture,
particulièrement bien bas de plafond, en proie à
l’oisiveté et aux tentations occidentales
sombre dans la haine et le déshonneur. Le pays
riche européen, miroir aux alouettes, se mue en
enfer invivable que le bon sens préconiserait de
quitter vite fait.
Dédié
à Pasolini, que Arslan apprécie
pour ses idées politiques, Frères d’exil
vaut aussi pour la qualité de son interprétation.
Azad frappe par sa détermination rageuse et sa mélancolie
chevillée au corps, jeune adolescent sans
illusions sur ce qui l’entoure. Et Ibo est un
gamin futé et espiègle, profondément marqué
par l’assassinat de ses parents.
Frères
d’exil, brut et poétique, sauvage et
concret, est une belle illustration du renouveau
du cinéma germanique, en prise directe avec le
monde. On avait déjà remarqué avec Head-on
l’imbrication entre Istanbul et Berlin.
Même
s’il n’est pas parfait, Frères d’exil
n’en demeure pas moins palpitant et poignant.
Patrick
Braganti
Drame
allemand – 1 h 36 – Sortie le 12 Avril 2006
Avec
Xewat Gectan, Erdal Celik, Nurettin Celik
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