Un plan plutôt réussi de ce Fur : Robert
Downey Jr., statique et vieilli, surgissant
comme un fantôme caché dans le film, qui
s’extirperait soudain d’un mauvais rêve (vie
chaotique, carrière décevante, pilosité extrême,
Fur médiocre) et dont le visage fixe
parvient à lui seul à faire trembler une image
jusqu’ici plutôt lisse. La portée de son
irruption n’est pas explicable : elle ne
tient ni à la chute du maquillage grand-guignol
qui l’affuble jusqu’ici, ni au geste
photographique fondateur d’une certaine Diane
Arbus – éveil, premier cliché : cette
symbolique foutraque dont ce film voudrait nous
persuader -, ni même à l’ennui général qui a
depuis longtemps gagné le spectateur. On la
situera donc, à défaut d’autre chose, du côté
d’une parole d’autant plus vive qu’elle se
ramasse sur elle-même. Bref, aussi surprenant que
cela puisse paraître, d’un éloge de la
photographie.
Autre plan qui ne manque pas de sel : Nicole Kidman
exhibitionniste sur sa terrasse de Manhattan. Une
entaille au cœur de l’imagerie domestique
chichiteuse et bourgeoise, geste purement sexuel,
ouverture franchement bien vue sur le travail de
l’art. C’est le meilleur côté de ce Fur
sans caractère, d’avoir perçu la valeur décisive
des fondamentaux sexuels dans le geste artistique.
En arrachant son corps à ses enveloppes
sur-soulignées (robes fifties, manteaux de poil,
robes légères, underwears et au final –
ce qui revient au même – plus rien : Nicole
traverse en nu intégral (ce qui nous fait dire
que Steven Shainberg ne sait pas de quoi il
parle, qu’il n’a jamais pensé l’éveil
sexuel de Diane Arbus autrement que comme
un grand manifeste du « je m’assume
complètement c’est clair ») la
pelouse d’un camp rigide de nudistes stricts et
pas drôles du tout), Kidman devient
jouissive dans sa mue progressive, le vacillement
frémissant de son désir, son avancée pas à pas
et en même temps totale dans le champs de l’expérimentation.
Plus hitchcockienne que jamais, brune absolue,
elle fait écho, en cette certaine Diane
Arbus, à l’Alice bourgeoise et rigide d’Eyes
Wide Shut. Topo identique – mariage,
enfants, fantasme – pour issue variable. De
l’ordre retrouvé chez Kubrick ; du
désordre poursuivi cette fois.
Voilà qui aurait largement suffit à faire un film, un bon
précepte de départ pour l’éclosion pourquoi
pas d’une œuvre. S’il n’en est rien, si le
récit s’étire interminablement dans un rythme
neutre et sans personnalité, c’est d’abord
– terrible constat pour une variation libre
autour de la vraie Diane Arbus –
par prosternation convenue au grand Dieu de la vie
telle qu’on l’imagine en occident 2007.
Premier visé : ce ciment romantique dont le
cinéma cliché étire ses pauvres mièvreries (on
a vu pire) pour balourdiser n’importe
quel éclat un peu subtil, simplifie en somme le
complexe entremêlement intime d’un être humain
vivant. La trajectoire de cette certaine Diane
Arbus est arquée depuis la peur effrayante
(la belle bête porte un masque) jusqu’au
suicide assisté (plan publicitaire) via
l’extase in the bed. Extase d’ailleurs
toléré pourvu que l’homme velu se purifie,
rasage de près, limite imberbe (longue séance en
cabinet d’esthéticienne improvisé, qui réduit
naïvement en poussière le discours répété sur
le thème « nos amis les bêtes »
(carnaval incessant, mi-fasciné mi-voyeuriste,
d’un groupe de personnes souffrant de
malformations variées mais vraiment alors
vraiment super sympas)).
Corollaire inhérent au vieux fond romantique, une quête
initiatique sous-tend l’arc vertueux. La vie, en
gros, ce serait cela : un parcours par étapes
facilement repérables, filmé as usual façon
Disney, référence ultra-convoquée
inconsciemment ou pas – Blanche-Neige, La Belle
et la bête, Cendrillon : cette ligne générale.
De l’art, celui de la vraie Diane
Arbus par exemple, il n’est jamais vraiment
question. De l’esquisse aperçue, il ne reste
presque rien. Son geste radical, destructeur de
repères, déstructurant l’identité, échappe
– de très loin – à la pensée de Steven
Shainberg.
Christophe
Malléjac
Film américain (2005) – 2H– Sortie le 10 janvier 2007
Avec
Nicole Kidman, Robert Downey jr., Harris Yulin...
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