cinéma

Garden state de Zach Braff

[4.5]

 

 

    Succès surprise d’un été américain, Garden State –sans atteindre les chiffres des blockbusters pour adolescents- a su faire passer à travers le flot des grosses productions indigestes (american pie and co) une petite musique à part, à mi-chemin entre la mélodie romantique et le song-writing exigeant.

 

    Petite musique, car ce voyage initiatique –voyage de retour de Large (Zach Braff lui-même) dans le New Jersey à l’occasion de l’enterrement de sa mère- est tout entier encadré (enrobé) par un listing de chanson pop-rock-folk (Simon and Garfunkel, Nick Drake, Coldplay, etc.)formant ici -comme pour toutes les générations successives- la base d’un langage commun, celui des premières émotions secrètes, celui au sein duquel on enferme aussi une part de sa mémoire. C’est d’ailleurs la musique qui va réveiller Large et faire le lien avec Sam (sans omettre la participation amicale d’un chien, scène très drôle). Et lorsque la musique s’efface, elle entraîne à sa suite toute possibilité de communication : voir le silence immaculé de l’appartement californien de Large, ou celui de sa maison d’enfance, celui de son père surtout, psychiatre muré dans les non-dits et cherchant à tout prix à nouer le dialogue avec son fils.

 

    Il y aurait donc une étude exhaustive à mener sur l’utilisation par Zach Braff –acteur, scénariste, réalisateur- de toute cette variété de musique, qui s’ancre sans doute dans une réalité autobiographique, fictionnalisée bien entendu, mais comment ne pas penser ici qu’à l’instar d’un Woody Allen, son travail est inextricablement lié à son histoire personnelle ?

 

    Comme la règle du film d’initiation le veut, la fin livrera de la situation de départ une vision renouvelée. De l’acteur sans succès enchaînant morose les jobs d’appoint à l’homme amoureux capable désormais de décider du cours de sa vie, et de dire particulièrement à son père je te pardonne, quand celui-ci persistait à enfermer son fils dans une culpabilité pourtant prescrite depuis belle lurette, il y aura eu la traversée de toute une série d’évènements, de rencontres et de phases qui font qu’à 26 ans, Large peut vivre désormais sa propre adolescence –interdite un premier temps- en toute connaissance de cause. Car le lourd secret familial qui pesait sur ses frêles épaules d’enfant (là où il semble définitivement arrêté) se délite peu à peu, comme une canalisation se débouche (celle d’une baignoire par exemple) et laisse place à des coulées d’eau fraîche. Il n’y a pas de hasard : ce temps du renouveau correspond à celui de l’arrêt de toute ingurgitation de calmants et autres médications destinées à contenir ses pulsions d’homme considéré comme « dangereux ».

 

    On peut lire ce film comme une apologie du relâchement de cette normalité hyper contrôlée dont les Etats-Unis –et l’occident à sa suite- sont devenus le creuset paranoïaque. Les amis d’enfance que Large retrouve dans le New Jersey forment une sorte de panel représentatif des possibles de la société américaine : employés, chômeurs, croque-morts sans scrupules, rentiers (grâce à l’invention du scratch sans bruit). C’est dans ce monde décalé –dont Sam (Natalie Portman), jeune fille un peu dérangée pourrait être l’icône- que pour la première fois peut-être Large ne sera plus perçu ni comme un acteur en devenir (broyé par le système hollywoodien), ni comme un fils indigne, ni comme un psychopathe dangereux, mais comme un être humain tout simplement, dont le patronyme semble enfin couvrir une certaine réalité.

 

    La réussite du film tient pour beaucoup à l’ingéniosité sans brillance avec laquelle Zach Braff filme son récit. Il possède un vrai talent de réalisateur pour tirer partie au maximum de chaque situation (voir la scène –burlesque- de la flèche en feu). Les acteurs se laissent porter par cette atmosphère de libération du corps et de l’esprit, naturels, parfaits. Natalie Portman, en particulier, paraît plus épanouie que jamais, débridée, heureuse et à sa place.

Et finalement, si Large parvient –on s’en doutait- à redresser sa vie qui suivait la trajectoire inquiétante d’un avion en chute libre, on espère cependant qu’il saura avec le temps préserver cette force neuve puisée à sa source ; qu’il ne basculera pas dans la trop grande normalité et le sérieux mortifère de l’âge adulte car c’est bien de là qu’est venu son malheur.

 

Christophe Malléjac

 

Film américain – 1 h 42 – Sortie le 20 avril 2005

Avec Zach Braff, Natalie Portman, Ian Holm, Peter Sarsgaard