A
history of violence
de David
Cronenberg
[4.0]
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La
longue séquence d’ouverture (hommage à Sergio
Leone ?) d’A history of violence, bien
plus retorse qu’il n’y paraît, peut se lire de fait
comme un exercice de condensation de l’ensemble du
discours, tant de forme que de fond, porté par le film.
En quelques plans, Cronenberg parvient en effet
à décréter radicalement son appartenance, via le cinéma
pur (multiples références d’emblée, et pour
commencer à la figure ultra indexée des deux gangsters
dans un motel de rase campagne), au territoire de la
fiction - par opposition à la théorie et donc au film
à thèses -, à en poser les jalons et autres préalables
(le meurtre de l’innocence comme fondement originel de
la nation) et à déployer les schémas d’exercice de
la violence à venir (sa hiérarchisation notamment). A
l’instar d’un Leone pointant le barillet du
revolver d’Henry Fonda sur l’enfance de
l’humanité américaine, Cronenberg appuie sur
la gâchette. La pertinence du geste, jamais mise en
question, vaut au moins pour son symbolisme efficace.
Une
heure trente de cinéma pur, donc, où les prémisses
entrevues d’entrée vont peu à peu s’élargir,
complexifiant en douce un récit à la trame pourtant
simple : Qui est véritablement, propriétaire
d’un snack tranquille dans une bourgade moyenne de
l’Amérique profonde ? Sa médiatisation soudaine
pour cause de bravoure inattendue fait resurgir des fantômes
menaçants : une giclée de violence en rappelle
une autre, un présent (sa valeureuse action) convoque
un passé (sa vie de Joey Cusack) et impose un futur (règlements
de compte à Philadelphie). On n’est bien évidemment
pas obligés de se laisser prendre au premier degré
d’un scénario illustré avec un classicisme rarement
vu chez son auteur, à cause de ce classicisme rare précisément.
Car nous voilà prévenus : pas de place dans cette
histoire de violence pour un noir et blanc clair et
limpide. Méfions-nous plutôt de ce vernis trop lisse,
prétexte idéal à la dissimulation d’une réalité
autrement plus perverse. Le cœur du film, ce n’est
pas tant cette question de la schizophrénie, volontaire
ou involontaire, de Tom Stall (Viggo Mortensen,
doux et puissant) – dont on ne doute pas une seconde
– que sa capacité à (sur-)vivre avec une part aussi
noire, une animalité prête à faire feu, et,
corollaire, ce que sa coexistence acceptée au sein de
la communauté des citoyens dit modèles présuppose.
Tout le monde abdique : la loi à travers le shérif
ou l’avocate faite épouse, la foule prête à héroïser
le plus fort, ses enfants – son fils surtout, sa fille
(que comprend-elle ?) représentant l’autre face
de l’innocence frappée au tout début du film –
dont les gênes semblent couler de source.
Le
principal parti-pris de mise en scène consiste ici à
tout filmer sur le même plan : gunfights et
disputes familiales, menaces mafieuses et conflits d’école.
L’objectif est clair, la violence armée qui
d’ordinaire occupe le centre des débats se trouve
mise sur un pied d’égalité avec les autres actions
d’une apparence plus normale. De cette mise à
nu inédite de la violence manifeste (ou manifestée)
– les scènes de gunfights sont toutes en sécheresse,
brièveté, efficacité – surgit une échelle de
valeur dont il faut bien tenir compte. A cet égard, A
history of violence pourrait – et doit -
s’entendre comme une histoire globale – au sens générique
du terme – de la violence en elle-même, c’est à
dire en tant que phénomène de société. De cette leçon
pratique, une évidence suinte doucement, où l’on
devine que tout phénomène de violence se mesure
d’abord à l’aune de l’accueil qu’en fait celui
sur qui elle s’exerce. Données variables comme
les coups de Tom Stall, qui semblent porter avec une
toute autre profondeur lorsqu’ils s’abattent sur son
fils stupéfait (gifle par exemple) ou sa femme (cette
zone, aux frontières floues, du viol dans le couple)
que dans un échange de balles avec des mafieux,
professionnels du combat armé. Ou encore, la démission
précitée des forces de l’ordre, perpétuant à leur
manière cette illusion de bonne conscience basée sur
le crime. Ou la jeunesse du samedi soir trompant
l’ennui à travers les drogues douces.
Pour
appuyer son discours, Cronenberg agite
subrepticement les fantômes de la mémoire collective
américaine qui, plus qu’ailleurs, passe d’abord par
l’image. Au-delà de la fiction uniforme (ce qu’il
est, maîtrisé de bout en bout) A History of
violence contient en strates, à la fois parallèles
et successives, une multitude de références dont on
serait bien en peine d’épuiser le fond. L’évidence
des séries télévisées – on pense notamment au léger
Smallville mais aussi aux grandes séries
fondatrices des années 50 / 60 – coexiste dans la
proximité d’un savant mélange des genres :
thriller, film de gangsters, drame social ou œuvre
politique, tout cela à la fois mais aucun tout à
fait. L’attitude n’est pas sans risques, mais,
assumée jusqu’au bout, livre in fine un film
compact, à l’empreinte peu spectaculaire, sinueuse
cependant, cheminant en silence dans l’esprit du
spectateur.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 1 H 35 – Sortie le 2 novembre 2005
Avec
Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris.
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