C’est
un titre magnifique, un tantinet grandiloquent
pour parler d’un triste sujet, de plus en plus
banal : la souffrance au travail et ses conséquences
sur la santé physique et mentale des victimes de
harcèlement et de pressions diverses.
Derrière
une accroche clinquante on trouve un dispositif
d’une sobriété exemplaire, soit quatre longs
entretiens menés par une psychologue et deux médecins
du travail qui écoutent les témoignages de trois
femmes et un homme malades de leur travail. Les échanges
autour d’un bureau sont majoritairement filmés
de manière latérale en plans fixes, mettant les
deux interlocuteurs sur un même niveau. Parfois
la caméra s’attarde sur le visage ou les mains
de l’un ou l’autre. L’absence de mise en scène
oblige à la concentration sur les propos échangés,
émouvantes et terrifiantes confessions d’êtres
humains cassés par leur boulot, tour à tour dégradé,
transformé ou perdu. Le film se conclut par une
conversation entre les trois soignants et Christophe
Dejours, auteur en 1998 de Souffrance en
France – La banalisation de l’injustice
sociale. Ce dernier, psychiatre et
psychanalyste est à l’initiative de
l’installation de consultations dans trois hôpitaux
publics de l’Ile de France s’articulant sur la
collusion entre travail et souffrance, dressant le
constat déplorable des stigmates psychiques de
celle-ci.
Malgré
l’intérêt de son thème et les conclusions tirées
lors de l’échange final qui prolonge celui des
patients et des médecins, le film ne convainc guère
et laisse le spectateur sur sa faim. Pour qui
s’intéresse tant soit peu à la situation
sociale du pays, à l’évolution du marché de
l’emploi, l’impression de portes ouvertes
enfoncées va très vite surgir. Les quatre
consultations ne sont en fait que l’exposé détaillé
de l’historique des expériences des patients.
Ce pour quoi ils en sont arrivés là. En face,
les médecins prennent des notes, formulent
quelques questions passe-partout et ne paraissent
pas toujours exprimer beaucoup d’empathie –
c’est particulièrement criant avec le médecin
homme en face de la gérante rétrogradée après
dix-neuf années de bons et loyaux services. Outre
ces entretiens d’identification des maux et de
leurs causes, on aurait apprécié d’en connaître
la suite : quelles solutions sont-elles
apportées, comment ces quatre naufragés s’en
sont-ils sortis ?
On
ne doute pas des bonnes intentions de Dejours
et des soignants. Néanmoins la causerie à bâtons
rompus frise la mondanité et le contentement de
soi. Nous sommes entre gens compétents, brillants
dans leur élocution, maniant concepts et jargon
de psy avec talent, sinon autosatisfaction. Et
tout ce petit monde de dresser un tableau
pertinent et juste de la situation, comme tous les
bons experts dignes de ce nom. D’accord, et après ?
Passés les « Il faut que « et
autres « Il n’y a qu’à »
d’usage, où sont les propositions concrètes ?
Et surtout en quoi la démarche – encore une
fois fort respectable – de cette équipe
novatrice, presque anticonformiste, est-elle
porteuse de résultats ? Question sans réponse,
ou tout au moins sans réponses données par le
film. Dès lors, on s’interroge sur la raison
d’être du travail du couple de documentaristes
auquel un format radio ou télé aurait mieux
convenu, surtout s’il avait été poursuivi
d’une confrontation entre différentes compétences.
Un
documentaire honnête qui n’invente rien, et
surtout pas sur la forme, qui ne convaincra que
les déjà convaincus. Et ne fera pas avancer le
problème d’un iota.
Patrick
Braganti
Documentaire
français – 1 h 20 – Sortie le 8 Février 2006
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