In
this world
de
Michael Winterbottom
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Sentiment partagé à la vue de In
this world, dernier opus en date du réalisateur
britannique Michael Winterbottom, qui a lui même
pas mal diversifié sa production. Celle-ci s’échelonne
des fictions romanesques comme Jude ou Rédemption
à des films à la limite du documentaire ancrés dans
la société ou l’actualité, comme Welcome to
Sarajevo. Pas de doute possible : In this
world fait bien partie de la seconde catégorie.
Le film s’attache à nous raconter
l’exil de deux cousins réfugiés afghans à Peshawar
au Pakistan, résolus à braver par terre et par mer
tous les dangers pour atteindre un eldorado londonien
tant espéré. Nous suivons toutes les galères du jeune
Jamal (Jamal Udin Torabi) et de son cousin aîné
Enayatullah, son nom d’acteur, qui traversent
ainsi le Pakistan, l’Iran et la Turquie avant de
rejoindre Trieste par bateau, puis Sangatte et enfin
Londres….
Le projet est évidemment louable, empreint d’un
humanisme indubitable ; ce qui rend la critique mal
aisée. Le mieux est encore de la situer sur deux
niveaux : le film en tant qu’ œuvre et le film
en tant que message politique. En fait, parler de la
forme et du fond.
La forme n’est guère convaincante ni
aboutie car elle oscille fréquemment entre le franc
documentaire et la fiction. Or ce film est avant tout
une fiction et entretient dès lors une équivoque
pernicieuse pour le spectateur un rien crédule.
Cependant, ce n’est pas le plus gênant, me semble
t-il, puisque ces exils mis en scène ou non sont une réalité.
Si l’aspect très esthétisant du film, très décrié
par la critique professionnelle, ne me pose pas de problèmes
particuliers – nous sommes après tout dans des régions
magnifiques -, c’est le montage rapide et saccadé qui
ne m’a pas permis un attachement durable aux deux
protagonistes. Bien sûr, il y a là urgence et danger
permanents, mais limiter à 90 minutes une traversée de
plusieurs milliers de kilomètres sur une durée globale
de huit mois est forcément réducteur.
Le film à sa manière dresse aussi un état du monde
actuel et le sujet est ô combien vaste. Reproche
rarement adressé à un film, je suis persuadé que In
this world aurait gagné en intensité s’il avait
été plus long. Il n’en reste pas moins que Michael
Winterbottom filme très bien les villes et les
dizaines de visages d’enfants et d’adultes qui
sillonnent In this world. Dommage que quelques
moments lourdement soulignés, tels des ralentis ou des
images prises à la caméra infra-rouge, impriment au
film un aspect trop léché, trop travaillé !!!
Pour ce qui concerne le fond, il va de soi que le jugement
sera beaucoup plus clément, car il ne peut échapper à
personne l’ampleur de cette tragédie vécue par des
centaines de milliers d’afghans prêts à tout pour
quitter l’horreur quotidienne. Le changement de
civilisation qui pointe au fur et à mesure que les deux
cousins se rapprochent de l’Europe occidentale, dont
Istanbul semble être le point de basculement, est à ce
propos totalement édifiant. Les dernières images qui
opposent Jamal solitaire en pleine prière dans une
mosquée londonienne au reste de la famille croupissant
dans un camp de réfugiés pakistanais, où malgré tout
les enfants jouent et rient, clôturent le film par un
immense point d’interrogation. Doublement marqué
lorsqu’on apprend que Jamal devra quitter l’Angleterre
la veille de ses dix-huit ans…..
Après avoir passé les deux heures
suivant la projection à débattre chaudement avec deux
amis, dont un toubib qui a déjà pas mal traîné sa
carcasse de par le vaste monde sous-développé et
meurtri, je me suis dit qu’au moins In this world
suscitait l’échange. Et ce n’est pas le moindre de
ses intérêts que de nous bousculer un peu dans nos
existences de nantis et d’ élargir notre regard sur
un autre pan de l’actualité, trop souvent réduit à
des problèmes de quota d’immigration. Le courage,
l’abnégation et la volonté de ces deux garçons, à
l’image de tant d’autres, sont à saluer bien bas. Michael
Winterbottom leur a en tout cas rendu cet hommage
avec parfois de la maladresse et de l’artifice, mais
jamais sans cœur ni compassion.
Patrick
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