cinéma

Innocents (the dreamers) de Bernardo Bertolucci

 
 

    Bernardo Bertolucci nous livre ici une version revisitée à la sauce soixante-huitarde des Enfants terribles. En réalité, ce n’est pas tant mai 68 qui se vit dans ce film, mais bien les élans et désillusions propres à la jeunesse, à travers le portrait tendre de trois jeunes qui cherchent leurs limites dans un duo-trio parfois pervers…

 

    A travers une relation fusionnelle et quasi-incestueuse entre un frère et sa sœur, faux jumeaux qui se ressemblent trop (au risque de trop s’aimer et parfois se haïr…), sur laquelle vient se greffer un américain amoureux et un peu naïf, Bertolucci revisite à sa façon le monde de l’adolescence (é)perdue. Par des jeux parfois cruels, des « cap/pas cap » où on brûle vite ses cartouches, et une passion cinéphilique qui peut être ici une façon comme une autre de repousser la réalité de cet âge adulte qu’on refuse (et qu’on dénigre avec d’autant plus de virulence à travers les parents), Théo, Isabelle et Matthew trouvent différentes façons de se réfugier encore et encore dans un imaginaire toujours magique parce qu’irréel ; en recréant notamment un monde proche de l’enfance (barboter des heures dans un bain, rejouer des scènes de films culte, se serrer sous une tente des mille et une nuits, s’enivrer de vin et de caresses…).

 

    Sous leurs airs de poseurs faussement décadents et de frimeurs un peu dandys, on devine ainsi bien des fêlures chez ces trois jeunes attachants (joli casting avec Louis Garrel, Eva Green et Michael Pitt !) ; alors forcément, le cocktail molotov soixante-huitard, ça a l’air tentant, histoire de se sentir – un peu – comme faisant partie prenante de ce monde qu’ils ont plutôt eu tendance à fuir jusqu’alors, voire à fuir jusqu’au bout… peu concernés, en réalité, par ce qui se passaient autour d’eux…

 

    Peut-être que Bertolucci a vécu une jeunesse comme celle-ci, dans un grand appartement haussmannien un peu fantomatique, où les parents apparaissent comme des figurants plutôt démissionnaires et permissifs, qui préfèrent laisser à leurs rejetons toute liberté de vivre leur jeunesse et de trouver par eux-mêmes leurs propres limites (puisque le monde est de toute façon un « chaos » où chaque chose trouve sa place…), mais rejetons aussi assoiffés d’absolus qui risquent forcément de se cogner à la dure réalité d’un monde cruel…

 

    Ce film rappelle des vieux films comme « les tricheurs » de Marcel Carné ou « les enfants terribles » de Cocteau (sans en avoir peut-être la profondeur) ; certes, il y a des maladresses, mais c’est ce qui en fait aussi son charme et sa sincérité… c’est le regard en arrière mélancolique et un peu maladroit (mais pas blasé) d’un cinéaste (peut-être un peu trop doué ?!…) sur sa propre jeunesse…

 

Cathie