Inquiétudes
de Gilles
Bourdos
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Les deux derniers films fantastiques du
cinéma français : le peu convaincant Qui a tué
Bambi ? et aujourd’hui Inquiétudes
ont un point commun : ils érigent la couleur
blanche comme vecteur d’angoisse. Si cela peut paraître
évident dans le cadre d’un univers hospitalier,
c’est plus curieux et intéressant lorsque cette même
couleur, synonyme de pureté et d’absolu, devient une
recherche obsessionnelle.
C’est ce qui motive Bruno (Grégoire
Colin à la limite d’un rôle autiste dont
l’expression passe avant tout par le regard étrange
et pénétrant), étudiant aux Beaux-Arts. Il vit avec
son oncle dans un taudis en périphérie de Nice et a
comme projet de réaliser une gigantesque structure
blanche dans laquelle il exposerait sa conception de la
beauté. Lors d’une préparation d’expo dans un
magasin de chaussures, il rencontre Elise (Julie
Ordon, peut-être pas complètement à la hauteur),
jeune fille couvée par sa tyrannique et psychologue
belle-mère Anne (Brigitte Catillon, gigantesque
et terrifiante). Elise a assisté dix ans plus tôt à
l’assassinat de sa mère. Placée entre les mains d’Anne,
cette dernière se lie avec son père et emprisonne de
plus en plus l’adolescente. Quand les deux jeunes gens
se rencontrent, c’est l’union diabolique d’un
absolutiste déterminé et d’une innocente en manque
de libertés.
Compte tenu des deux parcours de Bruno et Elise, où la
violence le dispute au malaise, le film se veut un
thriller fantastique et psychologique. Les motivations
de chacun, y compris la très dérangée Anne, et les
liens qui semblent les unir ne sont pas toujours très
bien exposés. Peu importe au demeurant et on sera aussi
indulgent pour les quelques maladresses du scénario
ainsi que pour la longueur du film un peu trop délayé
vers la fin.
Néanmoins, l’intérêt majeur de Inquiétudes réside
bel et bien dans l’aspect formel et le soin apporté
à la mise en scène. Le taudis où vit Bruno, la belle
cage dorée de Elise – où pour le coup dominent les
tons bruns et vert-de-gris) et la grande maison moderne
qui les abrite dans la dernière partie du film sont
trois espaces créateurs d’angoisses et de frayeurs. Gilles
Bourdos excelle à utiliser ces trois lieux, en
multipliant les angles de vues. Le filmage à travers
les portes plus ou moins entrebâillées avec une
impression d’enfilades constitue la technique récurrente
de la mise en scène et procure cette peur diffuse.
L’action se passe à Nice, mais nous sommes loin du
cliché touristique. Il pleut souvent et même sur la
plage où un bulldozer ramasse un requin mort il fait
gris.
Le réalisateur, par ailleurs scénariste,
qui a juste commis jusqu’à présent Disparus
en 1998 signe ici un film ambitieux et inhabituel dans
le paysage du cinéma français. Il y a de la matière
– peut-être un peu trop – et de la densité. Même
si à mon avis le film aurait gagné à être épuré,
l’épaisseur des personnages complexes et l’intensité
dramatique et claustrophobe ne procurent pas d’ennui
durable et on en ressort avec des frémissements dans le
dos.
Patrick
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