cinéma

Itinéraires de Christophe Otzenberger

[4.0]

 

 

Parce qu’Itinéraires bénéficie d’une diffusion très limitée, parce qu’on aime la démarche de Christophe Otzenberger, tour à tour documentariste et cinéaste, concerné par les soubresauts de la société française, on a très envie de donner un coup de projecteur sur ce film beau et âpre.

C’est donc bien d’itinéraires qu’il est ici question, mais ce ne sont surtout pas ceux d’un enfant gâté, ou alors au sens abîmé. Ce qu’est Thierry, un jeune gars très tôt confronté à la taule, dont le grand tort est de se trouver là où il ne vaut mieux pas être, impliqué malgré lui dans des histoires qui le dépassent. A dix-huit ans, après un contrôle judiciaire, il est hébergé par sa grand-mère dans un village du Nord, peuplé de paysans et de retraités des mines, un monde clos où existent encore solidarité et entraide. Plus ou moins abandonné par un père préoccupé du qu’en-dira-t-on et une mère soumise, Thierry voue un grand amour respectueux à sa grand-mère, dont il reprendrait volontiers la ferme. En attendant, il se livre avec un autre jeune à des trafics de viande. A la suite d’un plan qui tourne très mal, Thierry écope de sept années de réclusion criminelle pour complicité de meurtre. A sa sortie, il n’a pas d’autre solution que de regagner le domicile familial où rapidement la relation se tend entre son père et lui, devant une mère conciliatrice et tétanisée. Le jeune homme renoue avec les petits trafics en association avec des routiers. La découverte de l’un d’entre eux, mort à son volant sur un parking, transforme Thierry en fugitif et le précipite dans une fuite en avant.

Dans sa cavale, Thierry échoue dans une petite bourgade au bord de la mer. Le patron bourru et grand cœur, du bar-restaurant PMU local l’embauche comme cuisinier serveur, sans lui poser davantage de questions sur sa provenance. En même temps, Thierry fait la connaissance de Céline, la fille de la boulangère, qui s’ennuie à mourir dans ce trou perdu et s’amuse à allumer les vieux du coin en simulant des ébats sexuels. Pas de répit possible néanmoins, car la machine judiciaire et policière est en marche, à la poursuite du malchanceux Thierry.

 

Itinéraires est un film noir, qui évite tout manichéisme et démonstration misérabiliste. Otzenberger filme avec intensité le chemin cahoteux de son héros. Venu du documentaire télévisé, le cinéaste soigne ses cadres et privilégie des lumières crépusculaires. Des gros plans sur le visage fermé et buté, rarement souriant, de Thierry émaillent le film. Autour du fuyard, s’agglomèrent quelques personnages de chair et de sang, brossés en quelques scènes clefs  : du père alcoolique et fermé au commissaire opiniâtre et cynique, du restaurateur ermite et rabelaisien à l’avocat amical et arrangeant, ils font tous l’objet d’une interprétation magistrale. Des seconds rôles tenus par des acteurs rares, aux filmographies exigeantes  et aux parcours souvent engagés.

Christophe Otzenberger dépeint un univers ancré dans la réalité quotidienne qui n’est pas sans rappeler celui de certaines œuvres de Maurice Pialat. Il fait d’Itinéraires un film râpeux et sensuel, énergique et profondément humain et de son héros un être complexe à la fois brut et sensuel, à la limite de l’angélisme, rongé par la culpabilité, se rapprochant de l’animalité solitaire et recluse.

 

Patrick Braganti

 

Drame français – 1 h 40 – Sortie le 22 Février 2006

Avec Yann Tregouét, Céline Cuignet, Lionel Abelanski, Jacques Bonnaffé

 

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