Otar
Iosseliani devrait être remboursé par la Sécurité
Sociale tant le cinéma de ce jeune homme de
soixante-douze printemps – ou automnes, pour le
coup – est plein de vitalité, d’inventions
qui nous fait sortir de la projection le cœur léger
et le pas alerte, revigorés par son regard
insolent et affûté.
Dans
une époque imprécise, pas directement rattachée
à des événements précis même si elle entre en
résonance avec l’actualité immédiate
(manifestations dans les rues, problème des
sans-papiers et des émigrés), Vincent est un
ministre élégant, occupé à maintes
inaugurations, banquets, vins d’honneur, réunions
avec des officiels étrangers. Ayant provoqué
l’agacement de ses supérieurs pour une raison
inexpliquée, Vincent contraint à la démission
quitte les ors de son ministère, de sa belle
maison et, tournant définitivement le dos à une
vie de pouvoir et d’apparence, renoue avec ses
amis, batifole avec ses anciennes maîtresses et
commence à vivre, profitant des simples plaisirs
de la musique, d’un bon repas entre copains
copieusement arrosé.
Comme
toujours chez le réalisateur géorgien, adopté
par la France depuis plus de vingt ans, la fable
est la forme utilisée. La nouveauté ici est
qu’elle n’investit pas que le seul champ de
l’univers familial, mais aussi celui de la société.
Iosseliani montre l’avidité des gens et
leur soif inextinguible de pouvoir. Le déménagement
de Vincent, plaqué par sa très opportuniste
femme pour un ministre plus en vue, est suivi de
l’emménagement du nouveau, se soldant par le
grand débarras des affaires du précédent, le
changement de mobilier et d’équipe. C’est drôle
et fin, le trait à peine appuyé et qui pourtant
fait mouche.
Chez
son ancienne compagne, Vincent est très mal reçu,
celle-là étant elle aussi dans ses cartons, ce
qui donne l’impression que tous les endroits
traversés sont en perpétuelle mutation. Un vaste
foutoir, un joyeux bordel que découvre aussi
Vincent quand il veut réintégrer son ancien
logis, squatté par une tribu noire de
clandestins. Mais tout cela n’est jamais ni
grave ni tragique. Vincent s’en retourne vers sa
mère, campée par un Michel Piccoli épatant
dans une composition de vieille femme régissant
tout son monde, ravie de la direction prise par
son rejeton.
Bien
sûr, pour apprécier le monde fou et irrationnel
du réalisateur de Lundi matin, bric-à-brac
décalé et surprenant, il vaut mieux laisser au
vestiaire son esprit cartésien. Mais accepter de
se laisser bringuebaler dans cet univers tenant du
bestiaire et de la cour des miracles procure un véritable
bonheur. La mise en scène est un tourbillon
continuel. On aime la fluidité des plans séquence
dans lesquels les va-et-vient et les mouvements
des personnages sont permanents. Dans Jardins
en automne, on manifeste un goût prononcé
pour le comique du geste burlesque et de la
pantomime, mettant à l’arrière-plan les
dialogues.
Tous
les défenseurs de la liberté, les épicuriens en
tout genre ne peuvent qu’être réjouis par un
cinéma en roue libre, prônant les valeurs simple
du partage.
Néanmoins,
sous ses dehors légers et futiles, Jardins en
automne laisse entrevoir que la saison évoquée
est aussi celle des regrets, des bilans et du
sentiment possible d’un temps gaspillé. La scène
d’ouverture où trois vieux hommes se querellent
sur le choix de leur cercueil montre à la fois
que la mort ne clôt pas la cupidité et la
proximité de l’échéance finale. Et la dernière
scène, repas au crépuscule d’une smala
disparate et cocasse, peut être vue comme un
banquet d’adieu, celui où on aimerait réunir
tous ceux qui ont compté un jour ou l’autre.
Courez
donc gambader dans ces Jardins en automne
pour un bol d’air revigorant et pour une leçon
de savoir-vivre, dispensée avec une minutie désinvolte
et une classe folle.
Patrick
Braganti
Comédie
dramatique française – 1 h 57 – Sortie 6
Septembre 2006
Avec
Séverin Blanchet, Jacynthe Jacquet, Lily Lavina
|