Je ne suis pas là pour être aimé de
Stéphane Brizé
[4.5]
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A sa manière de monter les escaliers en
soufflant et en tenant ferme la rampe, on comprend de
suite que pour l’homme que nous découvrons sur l’écran
la vie ne doit pas être drôle tous les jours. Ce qui
n’a rien d’étonnant quand on découvre petit à
petit ce qui constitue l’existence de Jean-Claude
Delsart, partagée entre un métier qu’il exerce par
habitude et des visites dominicales à un père
irascible et bougon. C’est d’ailleurs de son père
que lui provient sa charge d’huissier de justice,
cette exaltante fonction consistant à déposer des
injonctions de paiement ou à procéder à l’expulsion
de mauvais payeurs sous l’indifférence hilare de la
police. A son tour, Jean-Claude fait rentrer son fils à
l’étude, mais le garçon effacé et velléitaire a
plus d’attentions pour ses envahissantes plantes
vertes que pour l’élaboration de ses dossiers. Alors
oui, les journées de ce quinquagénaire résigné sont
bien ternes, si ce n’est les bouffées d’oxygène
qu’il s’octroie en suivant les leçons de tango
dispensées par le cours en face de son bureau. Il y
fait la connaissance de Françoise, une jeune femme
pleine de fraîcheur, que son prochain mariage avec un
prof en congé tentant de devenir écrivain ne paraît
pas épanouir. Entre ces deux êtres esseulés un
rapprochement s’opère.
Je
ne suis pas là pour être aimé, titre qui à lui
seul résume la quintessence de la vie de Jean-Claude,
une affirmation qui cherche contradiction, est une pure
merveille de subtilité, d’intelligence et d’émotions
distillées avec parcimonie, faisant mouche de bout en
bout. Dans son second film, Stéphane Brizé développe
son propos sur plusieurs axes. Le plus convenu et dès
lors le moins surprenant, c’est la possibilité de
l’amour entre deux individus écorchés : le
terrain sur lequel s’avancent Jean-Claude et Françoise
est sans doute un peu trop balisé pour renouveler un
genre galvaudé depuis belle lurette. Après tout l’éventualité
de la relation n’est ici qu’un aboutissement, une
conséquence d’un choix, lequel est souvent assujetti
aux propres parcours (famille, histoires, environnement)
de ceux qui sont amenés à les faire. C’est dans
cette réflexion que Stéphane Brizé se montre
le plus convaincant. Du côté de Françoise, on voit
bien l’influence décisive et dérisoire d’une mère
envers sa fille dans la préparation de son mariage :
choix d’une robe, plan de tables. C’est gentiment
cruel et finement observé. Mais c’est chez
Jean-Claude que le poids de la famille prend toute son
importance. Alors que ses deux autres enfants ont lâché
l’affaire il y a bien longtemps, le vieux père de
Jean-Claude, pensionnaire acariâtre et despotique
d’une maison de retraite, ne reçoit plus que la
visite de ce dernier pour d’ennuyeuses parties de
Monopoly et de grincheuses promenades dans le parc
voisin. Il y a du non-dit et surtout de l’impossibilité
à dire entre ces deux-là qui transforme toute
discussion en confrontations jusqu’à la démission
totale de Jean-Claude pour trois fois rien, juste un détail
qui pour lui revêt pourtant une importance extrême.
Rien
n’est jamais aussi simple ni aussi tranché et
Jean-Claude, par ailleurs en pleine reproduction du modèle
familial castrateur et aliénant, finira par le
comprendre sans doute au prix d’immenses regrets que
le spectateur sensible aura tout loisir d’imaginer.
Cette étape douloureuse et tardive n’en constitue pas
moins son sésame pour l’accès à une vie plus gaie
et plus libre, comme une forme de libération.
Outre la force de son histoire, Je ne suis pas
là pour être aimé doit aussi beaucoup à son
interprétation. Anne Consigny (Françoise) déploie
toute sa grâce et son sourire éblouissant illumine le
film. Dans le rôle de Jean-Claude, Patrick Chesnais
est prodigieux : presque muet, il excelle à la
seule expression de ses regards à faire passer toute la
souffrance et la frustration ressenties par son
personnage, mais aussi cet étonnement béat et
involontaire à ne pas croire à ce qui est en train de
lui arriver. Sa retenue fait ici merveille.
Un
joli film vraiment pour lequel on serait heureux que les
spectateurs eux aussi soient là, juste histoire de
l’aimer…
Patrick
Braganti
Film
Français – 1 h 33 – Sortie le 12 octobre 2005
Avec
Patrick Chesnais, Anne Consigny, George Wilson
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