Plus
qu’un sentiment de colère, de dérision ou
d’accablement, c’est la tristesse qui submerge
le spectateur face à Jesus Camp,
saisissant film auréolé de l’Oscar du meilleur
documentaire 2007, à laquelle vient s’ajouter
par la suite une impression sourde de malaise,
voire de frayeur.
Notre
mélancolie s’explique aisément : les êtres
qui sont au centre de ce qui nous est montré sans
aucun artifice de commentaires sont des enfants,
en majorité âgés de moins d’une dizaine
d’années, cibles des sessions d’embrigadement
menées par des évangélistes radicaux. Jesus
Camp suit plus précisément le travail de
Becky Fisher, pasteur pentecôtiste spécialisée
dans l’éducation religieuse de la jeune génération.
Avec un minimum de bon sens, la question qui
affleure aussitôt est d’imaginer, sinon de
comprendre, comment l’on peut faire subir cela
à des mômes, innocents et crédules, transformés
en véritables « petits soldats ».
Car les motifs de la propagande des chrétiens évangéliques
américains sont confessés sans ambages : un
tiers de la population mondiale a moins de quinze
ans, l’Islam en Palestine, au Pakistan n’hésite
pas à faire de ses enfants des guerriers en
puissance prêts à sacrifier leur vie au nom de
leur Dieu. Comme les Etats-Unis avec leur 224
millions de chrétiens dont une petite moitié de
confession évangélique se définit comme la
nation de Dieu – voir simplement les paroles de
l’hymne national - , c’est tout logiquement
que des prédicateurs comme Becky Fisher, persuadée
de détenir la vérité – sans rire, elle le dit
elle-même devant la caméra – servent
aujourd’hui de catalyseurs à l’émergence et
au développement de ce courant dont l’influence
grandit d’année en année.
On
est donc atterrés et horrifiés par les pratiques
de cet étrange Jesus Camp, espèce de camp
estival d’une nouvelle race de scouts endoctrinés
par le pasteur et quelques sbires, enjoints à
prier pour la pureté de leur nation, le salut du
président Bush et l’interdiction de
l’avortement. On assiste à des scènes délirantes
où la logorrhée doctrinale assénée avec force
et répétition amène des gamins à se tordre
comme sous l’emprise de la transe, laisser
couler des larmes non feintes et réfléchir à
haute et intelligible voix sur la puissance du mal
et la nécessité de s’en remettre à Dieu. Tous
ces enfants qui pourraient prêter à rire et font
surtout pitié sont élevés par des familles dans
ce nouvel esprit évangélique, en prônant
notamment les théories créationnistes – en
opposition frontale à la pensée darwiniste –
et en refusant le système scolaire en place.
Ainsi beaucoup d’entre eux reçoivent une éducation
à domicile, parfois dispensée par leurs propres
parents.
L’influence
croissante du mouvement depuis cinq ans environ
tend de plus en plus à installer une scission
dans le pays, où la confusion entre pouvoir et
religion est de plus en plus prégnante.
Conscients de leur poids électoral – les évangéliques
ont représente 53 % des suffrages exprimés lors
de l’élection présidentielle - , Becky Fisher
et ses amis revendiquent « une Amérique
pour le Christ » et mettent en place une
lame de fond en devenir : comment cette génération
embrigadée va peser sur l’avenir du pays
lorsqu’elle aura atteint l’âge adulte.
Il
y a bien de quoi éprouver quelque peur face à
l’évolution de la première puissance planétaire,
traversée par cette fracture et clivée en deux
blocs qui ne se côtoient plus : l’un laïc
avec une pratique modérée de la religion et
l’autre, néo-conservateur, qui renforce ses
effectifs recrutés parmi les plus jeunes pour
faire la guerre – le terme revient régulièrement
dans la bouche de Becky Fisher – à la décadence
morale et à toute idée de progressisme social,
grâce notamment à la mainmise sur un certain
nombre de média – l’audience des radios chrétiennes
a augmenté de 43 % en cinq ans.
Jesus
Camp souhaite susciter la réflexion et déclencher
des questionnements auprès de ses spectateurs, ce
qui paraît acquis compte tenu de l’impression
de répulsion qui pourra les saisir. On peut aussi
regretter que le documentaire ne donne pas plus de
clefs sur les liens avec le pouvoir en place et
l’organisation d’un tel mouvement, car parfois
on éprouve une vraie lassitude à devoir subir
malgré nous les prêches délirants d’une bande
de bateleurs passablement allumés.
Enfin,
inutile de renvoyer à ce qui se passe
aujourd’hui sur notre propre territoire où les
perspectives de stigmatisation de certains groupes
et d’instauration corollaire de lignes de démarcation
multiples et changeantes n’ont jamais été
aussi réelles et proches.
Patrick
Braganti
Documentaire
américain – 1 h 25 – Sortie le 18 Avril 2007
Avec
Becky Fisher, Mike Papaantonio
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