cinéma

J’me sens pas belle de Bernard Jeanjean  

 

 

    Effleurons la question de l’affiche, qui veut faire passer le film pour ce qu’il n’est absolument pas, c’est-à-dire un ersatz français du Journal de Bridget Jones, Ally McBeal et autres Sex in the City. La couleur fuchsia, la moue rêveuse de Marina Foïs et celle faussement coquine de Julien Boisselier, la phrase d’accroche, « Conseil n°1 : couchez le premier soir », façon célèbre marque de lingerie, ne sont en aucun cas représentatives de l’esprit du film.

 

    D’ailleurs, J’me sens pas belle n’est pas un film ; c’est une pièce de théâtre filmée. Unité de lieu : l’appartement de Fanny, secrétaire, qui invite Paul, informaticien, à dîner pour le remercier de lui avoir rendu service, et accessoirement pour un « plan cul ». Presque unité de temps : on découvre Fanny en fin d’après-midi, on la quitte en début de matinée. Unité d’action, enfin : « le jeu de l’amour et du hasard ».

Ce huis clos, par définition, nous plonge entre ces deux étrangers qui vont se découvrir. Fanny cherche maladroitement à savoir avec quelle femme Paul avait rendez-vous avant elle et qui est cet homme avec lequel il vit. Quant à lui, il pénètre dans l’univers de sa collègue et laisse parler sa curiosité : décoration de l’appartement, collection de disques où Dave figure en bonne place, commentaire sur le voisinage, guitare que Fanny utilise pour s’accompagner... Tout est sujet de conversation valide. Les dialogues et la mise en scène transcendent le banal de ces situations. C’est la force du film dans sa première moitié.

 

    La seconde partie du film est marquée par trois scènes particulièrement saisissantes : l'échange des jardins secrets, la tirade de Fanny qui donne son titre au film et une dispute au cours de laquelle les rôles sexués sont inversés. Julien Boisselier est habillé d'un haut féminin et demande à Marina Foïs de crier moins fort pour ne pas réveiller le bébé (celui des voisins du dessus) tandis qu'elle a revêtu son pyjama, une chemise d'homme. On pense à ce moment-là au passage d'Un homme, un vrai, des frères Larrieu, dans lequel Mathieu Amalric est écrivain au foyer et s'occupe de ses enfants qui l'appellent maman et Hélène Fillières incarne une businesswoman.

 

    Peu de choses à redire sur le duo d'acteurs. Julien Boisselier explose en cette année 2004 (Le Convoyeur, Clara et moi, Tout le plaisir est pour moi) et campe à la perfection le jeune homme qui n'ose pas, avant de prendre son destin en main. Difficile de ne pas fondre pour Marina Foïs, surtout si c'est pour elle qu'on vient voir le film et qu'on a des prédispositions en la matière. Elle garde certains réflexes de diction made in Robins des Bois, mais rien de bien perturbant. Il en va de même de légères erreurs techniques, qui n'empêchent pas la magie d'opérer.

 

    J'me sens pas belle est un beau film, qui prend admirablement soin d'éviter de traiter son sujet sur le mode : « Trente ans et célibataire : suis-je normal(e) ? », comme savent si bien le faire ces chers magazines féminins et masculins.

 

Sébastien Raffaelli

 

Français - 1h25 - sortie le 4 août 2004

Avec Marina Foïs, Julien Boisselier