Kill
Bill Volume 1
de
Quentin Tarantino
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On sait déjà tout de Kill Bill sans même
l’avoir vu : qu’il met en scène un personnage féminin
(“The Bride”) en quête de revanche après avoir été
laissée pour morte à son mariage par ses ex-collègues
tueurs. Qu’il comporte de nombreuses scènes de combat
à l’arme blanche. Que Tarantino y a même inséré
une séquence manga. Qu’il a été découpé en 2
volumes (la suite sot au printemps prochain). On sait
tout et on est pourtant constamment surpris et séduit
par un savoir-faire bluffant, une énergie
incroyablement galvanisante. En cela, le fan basique de Pulp
Fiction ne sera probablement pas déçu, d’autant
que Kill Bill se pose un peu là en matière de
tuerie sanguinolente: le “bip” qui remplace le nom
d’Uma Thurman, l’hallucinante scène de l’hôpital
(entre autres), figureront à n’en pas douter parmi
les passages favoris des admirateurs du californien
survolté.
Malgré sa nature hyper-référentielle, il n’oublie
personne en route et séduit même le néophyte peu
coutumier du cinéma asiatique. Pas besoin de connaître
la différence entre chambara et wu xia pian, de savoir
que le personnage de Sonny Chiba porte le même
nom que celui qu’il interprétait dans la série Shadow
Warriors ou que le combat final fait référence à Lady
Snowblood: la force de Tarantino est plus que
jamais de savoir mettre à portée de spectateur lambda
des références connues de lui seul et d’une poignée
de nerds compulsifs.
Il fonctionne ainsi un peu à la manière de Beck,
en bon recycler post-moderne dont le talent consiste à
avaler tout ce qu’il voit (ou écoute) pour le
recracher avec talent et d’une manière qui pour le
coup n’appartient qu’à lui. Il est de toutes façons
assez malin pour donner à chacun un ou plusieurs éléments
aisément reconnaissables: les gros plans, la lenteur du
western spaghetti ; la combinaison jaune de Bruce
Lee ; le masque du Frelon Vert ; le
split-screen (magnifique) de Brian DePalma… Son
digest gargantuesque, foutraque et miraculeusement cohérent
calmera ainsi on l’espère, et pour un bon moment,
tous les petits faiseurs pathétiques (type Guy
Ritchie) qui n’ont retenu de lui que le second
degré et les effets pop.
Tarantino est donc bien toujours le Pape du Cool, le
Prince du Fun Stylé. Mais plus seulement: Jackie
Brown et sa langueur mélancolique sont passés par
là, et teintent Kill Bill d’une surprenante
gravité pour un supposé exercice de style gratuit. Les
personnages ne sont ainsi plus définis par leur
faconde, leur bêtise, leur humour, mais uniquement par
les qualités qui ont fait d’eux ce qu’ils sont: des
tueurs de premier ordre. On ne rigole plus, ou tout du
moins, plus comme avant car le film ménage néanmoins
des séquences véritablement hilarantes: il s’agit
ici, de mener un groupe d’assassins, de diriger la
mafia tokyoïte, de se venger. Pas de ping-pong verbal
donc, pas monologues sur les vertus comparées des
fast-foods US et européens, pas de questionnement
quasi-métaphysique sur la nécessité de laisser un
pourboire aux serveuses, pas de répliques cultes dans Kill
Bill. Ou très peu.
En revanche, la mélancolie pointe le bout de son nez à
tout moment: via surtout l’utilisation d’une bo
moins pétaradante qu’à l’accoutumée (mais tout
aussi remarquable), comme ce bouleversant morceau de Luis
Bacalov qui illustre une scène du manga, ou la flûte
de pan de George Zamfir. Tarantino n’est
pas seulement amateur du graphisme du cinéma asiatique,
en grand romantique il a également fait sienne une
autre de ses caractéristiques, l’expression au
premier degré de sentiments exacerbés. Ainsi, les
blessures sur le corps d’Uma Thurman ne seront
jamais aussi douloureuses que le souvenir de son enfant
perdu (magnifique scène de son réveil).
De la même façon, si on peut s’amuser à retrouver
les gimmicks les plus voyants des westerns spaghettis, Tarantino
montre qu’il a tout compris au cinéma de Leone
dans la splendide scène de combat sous la neige:
lenteur, dilatation du temps ne sont pas que des figures
de style, ils sont la marque d’une profonde tristesse
de l’instant.
C’est à travers ces instants de pure grâce que Tarantino
parvient à échapper à son (enviable) statut de
juke-box cinéphile surdoué, et à hisser son film et
son art au rang de celui d’un véritable auteur.
C’est
peu dire qu’on attend le volume 2 avec impatience…
Laurent
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